Mercredi, ils étaient 2,2 millions de téléspectateurs à s'être donné rendez-vous sur W9. Pas pour regarder une émission de divertissement, mais bien pour assister au triomphe des Bleues contre le Mexique (5-0) lors de leur ultime match de poule de la Coupe du monde organisée au Canada. Tout simplement le meilleur score de l'histoire de la chaîne, créée il y a dix ans! Pourtant, le match commençait seulement à 22 heures, et il ne s'agissait que d'un match de poule, certes décisif pour la qualification. Un symptôme, parmi tant d'autres, de l'accélération du développement du football féminin en France ces dernières années. Peut-on dire pour autant que cette discipline, qui grandit dans l'ombre de son pendant masculin, a franchiun cap ? Eléments de réponse.
- En plein boom médiatique
Médiatiquement, c'est indéniable, le football féminin a changé de dimension. Et ce au-delà du seul match contre le Mexique, qui a tout de même réalisé 13,7% de part d'audience mercredi tout de même. C'est indéniable, le football féminin est de mieux en mieux représenté. La finale de Ligue des champions perdue par les filles du PSG contre Wolfsburg avait été diffusée le 14 mai sur France 2, l'une des rares apparitions du foot féminin sur les chaînes du service public, tandis qu'Eurosport, parrain de la diffusion du foot féminin en France, a lancé la première émission hebdomadaire entièrement consacrée au sujet, "femmes de foot".
Pour la première fois, le jeu vidéo Fifa 16 proposera à sa sortie en septembre prochain une sélection de 12 équipes féminines, dont les Bleues. Et pour la deuxième Coupe du monde de suite, les joueuses ont le droit à leur propre album Panini. Deux canaux de diffusions très puissants pour influer sur les jeunes générations.
Ces motifs de satisfactions ne doivent pas masquer l'écart abyssal qui les sépare encore des garçons en termes d'impact médiatique : à titre d'illustration, W9 a acheté la diffusion de 29 matches de la Coupe du monde au Canada pour 800.000 euros, soit 160 fois moins que TF1, qui avait du débourser 130 millions d'euros en 2005 pour obtenir la diffusion exclusive du Mondial 2014 des garçons (droits que la chaîne avait ensuite cédé à BeIN Sports).
- Un petit poucet économique en pleine croissance
On l'a observé pour les droits télés, le foot féminin brasse infiniment moins d'argent que son homologue masculin. Les budgets du PSG pour ses deux équipes en disent long sur l'écart qui sépare le foot-business florissant des garçons aux balbutiements financiers du foot féminin : 500 millions de budget pour Ibrahimovic et les siens contre 7 millions pour Marie-Laure Délie et Laura Georges.
Si l'on prend le club français qui a le plus investi dans le foot féminin ces dernières années, à savoir l'Olympique lyonnais, qui ne dispose pas de la même force de frappe que le PSG qatari, l'écart est moindre, mais toujours très significatif : 150 millions pour les hommes contre 7 millions pour les filles.
Mais au-delà des chiffres bruts, force est de constater que la tendance est à l'inflation budgétaire chez les filles. L'OL disposait de 3,5 millions d'euros de budget en 2010, qui a donc doublé en quatre saisons seulement ! Une inflation qui tourne à l'explosion du côté de Paris, puisque les stars les mieux payées peuvent émarger jusqu'à 10.000 euros au PSG. Lyon, où les joueuses gagnent autour de 8.000 euros, ne peut plus suivre. "L'effet qatari" semble fonctionner au PSG, puisqu'une joueuse en particulier a également émergé en termes d'image marketing. L'internationale et arrière-gauche Laure Boulleau, sponsorisée par Nike et très active sur Facebook et Twitter.
Une croissance économique très rapide, trop rapide presque, qui met le foot féminin face à un défi de taille : ne pas (trop) déséquilibrer un championnat à deux, voire trois vitesses, car le foot féminin est rattaché à la Ligue de football amateur. Même si les joueuses de l'OL et du PSG ont le statut de pro, l'immense majorité doit concilier le sport et un autre emploi. Entre ces deux équipes, celles où l'effectif féminin est adossé à une structure professionnelle (PSG, OL, ASSE, Montpellier, Guingamp et Toulouse) et celles au statut amateur comme Juvisy, l'écart se creuse à vitesse V. Et laisse planer la menace de la crise de croissance, dans une première division déjà survolée par les Lyonnaises (21 victoires en 21 matches cette année).
- Sportivement, un poids plume qui grossit sans cesse
Sportivement, Brigitte Henriques, secrétaire générale de la FFF en charge de la féminisation dans le football, situe le tournant à l'année 2011: "Les joueuses de l'OL sont devenues championnes d'Europe et l'Equipe de France a réalisé de très bonnes performances et offert un superbe spectacle lors de la Coupe du monde en Allemagne, finissant à la quatrième place", analyse-t-elle dans Télérama.
Cet "effet Coupe du monde" s'est rapidement fait sentir. De 30.000 licenciées, la FFF est passée à 83.000 en 2014. La fédération vise même les 100.000 adhérentes fin 2016. Si la dynamique est encourageante, la présence des femmes reste très minoritaire chez les licenciés (3,4%), très loin des 64% aux États-Unis ou 14% en Allemagne, deux équipes que les Bleues pourraient rencontrer en quart puis en demi-finales si elles venaient à battre la Corée du Sud dimanche.
Dans les instances sportives et dans les clubs en revanche, les femmes sont peu nombreuses. Une seule femme entraîne un club pro, Corinne Diacre, qui est aux manettes de Clermont Foot en Ligue 2, explique Audrey Keysers, co-auteure de La femme est l'avenir du foot. La seule présence de Brigitte Henriques au poste de secrétaire générale de la FFF en charge de la féminisation n'est-elle pas d'ailleurs la preuve que la parité n'a rien d'évidente ?