L'équipe de football d'Angleterre peut-elle boycotter la Coupe du monde en Russie ?

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Anaïs Huet et Benoist Pasteau , modifié à
Alors que la diplomatie britannique vient d'annoncer son boycott de la Coupe du monde en Russie cet été, la Fédération de football anglaise a-t-elle les moyens de lui emboîter le pas ? 

Theresa May a tapé du poing sur la table après l'empoisonnement sur le sol britannique de l'ex-espion russe Sergueï Skripal, 66 ans, et de sa fille Ioulia, 33 ans, hospitalisés depuis dans un état critique. Jugeant la Russie "coupable", la Première ministre britannique a annoncé mercredi une liste de sanctions à l'égard de Moscou. Parmi ces mesures figure le boycott, par les ministres britanniques et membres de la famille royale, de la Coupe du monde de football, qui se tiendra en Russie du 14 juin au 15 juillet 2018. Mais quid de l'équipe nationale ? 

Le boycott, un pari trop risqué

Sauf improbable décision, les joueurs de Gareth Southgate devraient bien prendre part à la Coupe du monde. Pour comprendre, il faut avoir en tête le statut bien particulier de la Fifa, organisatrice de la compétition. L'instance, qui regroupe 211 fédérations, se place au-dessus des gouvernements étatiques et édicte ses propres règles. Pour elle, le sport n'a pas à subir les conséquences d'éventuels conflits diplomatiques. Et la Coupe du monde n'a pas à être amputée d'un participant sous prétexte de tensions entre son gouvernement et celui du pays hôte.

La Fifa prévoit donc des sanctions fermes, qui visent à dissuader les équipes nationales tentées par un boycott sportif. Si la fédération anglaise choisissait finalement de ne pas prendre part à la Coupe du monde en Russie cet été, elle risquerait une suspension des prochaines compétitions organisées par l'instance, quand bien même le problème diplomatique serait réglé entre temps. 

S'il y a une chose que la Fifa ne supporte pas, c'est l'ingérence des gouvernements. La règle est claire : une fédération nationale doit être "autonome et non soumise à une entité gouvernementale". En 2015, la Fédération koweïtienne avait ainsi été suspendue car des changements demandés par la Fifa dans la loi des sports du Koweït n'avaient pas été effectués. Et cette aversion pour l'ingérence étatique pourrait d'ailleurs se retourner prochainement contre le Pérou, 32ème et dernier pays qualifié pour la Coupe du monde 2018. En effet, un membre du Congrès a récemment déposé un projet de loi visant à la prise de contrôle de la Fédération péruvienne de football par le gouvernement, outrepassant ainsi les lois de la Fifa.   

Le Maroc a payé cher son retrait de la CAN. Plus généralement, le milieu du football supporte mal les faux bonds de dernière minute. Pour avoir renoncé au dernier moment à accueillir l'édition 2015 de la Coupe d'Afrique des Nations (CAN), en raison de l'épidémie du virus Ebola, le Maroc a été suspendu pour les éditions 2017 et 2019 de la compétition. La Fédération marocaine avait également dû s'acquitter d'une "amende réglementaire" de plus de 800.000 euros et régler, d'autre part, plus de 8 millions d'euros "en réparation de l'ensemble des préjudices matériels subis par la Confédération africaine de football (CAF) et les parties prenantes du fait du désistement survenu."

Notons toutefois que la Fifa est plus tolérante à l'égard de grosses nations du football. En 2010, après la débâcle des Bleus au mondial (souvenez-vous, Knysna, la grève, le bus…), plusieurs politiciens français avaient réclamé la démission du président de la FFF. Joseph Blatter, alors président de la Fifa, avait alors clairement brandi la menace d'une suspension de la Fédération française de football (FFF) au cas où les ingérences politiques ne cesseraient pas. Menace donc, mais pas sanction.

La crainte d'un boycott international de la Coupe du monde 1978 en Argentine

En 1978, l'Argentine accueille la Coupe du monde, deux ans après un coup d'Etat qui a amené l'instauration d'une dictature militaire avec à sa tête le général Jorge Videla. Tortures, exécutions, assassinats… La communauté internationale exprime son indignation. En Europe notamment, des voix s'élèvent pour réclamer le boycott général de la compétition. Finalement, presque in extremis, l'Argentine évite l'humiliation et la débâcle. Toutes les fédérations prennent part à la compétition remportée... par l'Argentine.

Un enjeu sportif trop grand

Sur le plan sportif, la sélection anglaise a aussi beaucoup à perdre. Dotés d'une génération de joueurs de talents, en tête desquels le serial buteur Harry Kane, Dele Alli ou encore Marcus Rashford, les Three Lions (surnom donné à la sélection anglaise de football en raison des animaux brodés sur son écusson, ndlr) ont une carte à jouer dans ce Mondial russe.

Les Anglais ont eu une double chance au tirage. La première concerne leur groupe, le G, où ils sont tombés avec le Panama, la Tunisie et la Belgique, avec laquelle ils devraient se disputer la première place. La seconde est tout aussi importante puisqu'elle est en lien avec la phase finale : en cas de qualification, l'Angleterre affronterait en huitième de finale le premier ou le deuxième du groupe H, dans lequel figurent la Colombie, la Pologne, le Sénégal et le Japon - des équipes largement à sa portée. De quoi nourrir l'espoir de retrouver les quarts de finale, douze ans après l'élimination douloureuse contre le Portugal aux tirs au but à ce même stade. 

Surtout, les champions du monde 1966 ont un blason à redorer après le fiasco du Mondial 2014, où ils avait terminé derniers de leur groupe avec un seul point, derrière le Costa Rica (7 points), l'Uruguay (6 points) et l'Italie (3 points). 

Un manque à gagner financier trop important

Qui dit football, dit bien souvent argent. Entre les droits de diffusion télé, les sponsors et autres contrats de publicité, les enjeux financiers d'une compétition telle que la Coupe du monde sont gigantesques. Un boycott sportif pourrait ainsi entraîner la perte de nombreux revenus pour la fédération anglaise. 

L'Angleterre étant une terre de foot, les téléspectateurs britanniques ne manqueraient pour rien au monde l'événement sportif. Or, sans les Three Lions à supporter, combien s'attacheront malgré tout à suivre la compétition ? Les droits télé signés par les chaînes anglaises devraient atteindre des sommes astronomiques. Rien que pour la Premier League, sur la période 2016-2019, ces droits ont été négociés pour atteindre 2,3 milliards d'euros par an.