A l’Euro, la vie d’un footballeur est réglée comme du papier à musique. Lever à heure fixe (sauf les lendemains de match), déjeuner et dîner minutieusement préparés de longue date par le cuisinier en association avec le staff, couvre-feu strict (à minuit pour les Bleus, selon les directives de Didier Deschamps)... Tout est prévu dans les moindres détails, jusqu’aux visites des compagnes des joueurs, et son corollaire : la sexualité. La question peut sembler légère, mais c’est, pour le staff de l’équipe de France comme pour tous les staffs de toutes les autres équipes, un vrai sujet.
- Un vrai sujet pour le staff
"A chaque Coupe du monde et chaque Euro, on évoque ce problème", confirme Guy Roux, inoubliable entraîneur de l’AJ Auxerre et désormais consultant pour Europe 1. "Vous avez plus de 550 jeunes hommes de 20 à 35 ans rassemblés pendant une même compétition, la question se pose forcément. Les sélectionneurs et les présidents de fédération intelligents ouvrent des fenêtres pour les épouses et les compagnes."
C’est le cas pour l’équipe de France. Depuis 1998, la visite des femmes de joueurs pour des temps d’intimité a été institutionnalisée. Le sélectionneur de l’époque Aimé Jacquet étant un modèle sur ce plan comme sur beaucoup d’autres, la pratique a été reconduite par tous les successeurs du coach champion du monde. "Le football a un côté irrationnel, avec cette superstition du geste ou de l’attitude qui a fait gagner et que du coup on répète à chaque fois", confirme Jean-Pierre Paclet, médecin des Bleus entre 1993 et 2008. C’est encore le cas cette année, puisque les compagnes des Bleus se sont rendues à Clairefontaine juste avant le début de la compétition, puis à l’hôtel des joueurs à Lille après le match face à la Suisse (0-0) le 19 juin dernier, jusqu’au lendemain. Elles seront à Lyon dimanche pour le huitième de finale face à l'Irlande. On ne sait pas encore si une rencontre avec les joueurs est prévue. Probable qu’en cas de qualification pour les quarts, le staff laisse les couples se reformer...
Côté joueur comme côté staff, le sujet n’est jamais abordé de front. Il faut attendre plusieurs années pour que les langues se délient, mais le tabou demeure. C’est ainsi sous couvert d’anonymat qu’un joueur de l’épopée de 1998 donnait, en février 2013 dans VSD, un éclaircissement bien particulier à l’aventure des Champions du monde. "Vous croyez vraiment que nous sommes restés enfermés pendant presque deux mois à Clairefontaine avec le stress de la compétition ?", interrogeait-il.
- De l’avantage de jouer à domicile
Les joueurs français bénéficient en tout cas d’un avantage certain par rapport à ceux des autres équipes. "C’est sûr que jouer en France, ça facilite plus la venue des compagnes, la proximité des réunions familiales", explique Dominique Sévérac, auteur de la Face cachée des Bleus. L’autre avantage, c’est qu’entre les réseaux sociaux et la presse, Didier Deschamps a trouvé des alliés objectifs en termes de surveillance. Tout faux pas ou abus semble donc impossible. "L’Euro est en France, il faut faire gaffe, tout peut se savoir, un employé d’un hôtel peut parler à la presse", poursuit ce journaliste, qui suit l’équipe de France depuis près de 20 ans. Quant à Clairefontaine, "aucun risque de visite nocturne pendant l’Euro, c’est impossible. Tout est balisé, extrêmement carré. Avec une surveillance, les gars du Raid, une sécurité renforcée avec un agent qui ne rigole pas avec ça".
" "En 1998, c'était un peu open space, open bar" "
Pour le coup, ça n’a pas été toujours le cas. En 1998, date de la dernière grande compétition de football en France, la surveillance était plus lâche. "Il n’y avait pas de règlementation, pas du tout. C’était un peu open space, open bar", assure Dominique Sévérac. "Les célibataires - ou non - s’en donnaient à cœur joie. Pas tout, évidemment. Mais il y avait pas mal de rencontres au parking de Clairefontaine. Parce que c’était dur d’accéder au château. Mais avec autour un parc de 56 hectares, ça laissait de la place pour se cacher." Tout cela n’a pas empêché la France de devenir championne du monde.
Officiellement d’ailleurs, le staff des Bleus n’entend pas empiéter sur la vie intime de ses troupes. "Le sexe, ça ne regarde pas le staff. Ce qui les regarde, c’est que les joueurs bénéficient d’un confort affectif, d’un environnement familial idéal", assure Dominique Sévérac. "Après, ce qui se passe dans la chambre… Evidemment, on peut imaginer que la détente se passe aussi sur l’oreiller. Mais qu’ils soient bons à l’entraînement, c’est beaucoup plus une préoccupation". N’empêche, quand les "wags" (woman and girlfriends, selon la célèbre appellation britannique) visitent leur compagnon après une séparation longue de plus d’une semaine, la question de la sexualité est forcément dans les esprits.
- La science n’a pas tranché
Pour autant, difficile, voire impossible, de mesurer l’influence de la sexualité sur la performance sportive. "Personne n’a de réponse scientifique et véritable sur ce sujet. Le problème, c’est que les sexologues n’y connaissent rien en sport de haut niveau, et que les médecins du sport ne sont pas sexologues", explique Jean-Pierre Paclet. "Ce qui est sûr, c’est qu’il y a une décharge de testostérone. Mais chaque individu a un comportement différent par rapport à une performance. Du coup, c’est une question difficile à envisager de manière collective, c’est plus facile dans un sport individuel, où l’athlète se connaît mieux", estime le Dr Paclet.
" "Je demandais aux joueurs de ne pas essayer de battre des records du monde, ni même des records de Bourgogne" "
Reste l’instinct du coach. En 46 ans sur le banc, Guy Roux a eu le temps de se faire son idée. "Le problème, ce n’est pas les calories dégagées. On dit que ça vaut de monter trois étages. Non, le problème, c’est l’influx nerveux, la libido, la testostérone. Le sexe, ça diminue la libido et ça diminue le combat", estime le consultant d’Europe 1.
- Le mot d’ordre : être RAI-SON-NA-BLE
Fort de ce constat, Guy Roux a adopté une ligne de conduite, qu’il a tenue toute sa carrière. "Je demandais seulement aux joueurs de ne pas faire des performances dans les 72 heures qui précédaient le match. Pas d’abstinence, non, mais une pratique raisonnée. Qu’ils n’essayent pas de battre des records du monde ou même des records de Bourgogne", sourit l’homme du doublé avec l’AJA en 1996. "Comme dans tout, le risque, c’est l’excès. Est-ce qu’une tartine de beurre, c’est contraire au football ? Non. Mais dix tartines de beurre chaque jour, oui !"
"L’idéal, c’est de ne pas trop abuser juste avant un match, pour ne pas épuiser ses réserves", explique de son côté Jean-Pierre Paclet. "Et le mieux, c’est de faire l’amour avec sa partenaire habituelle, pour ne pas avoir envie de faire un exploit et d’impressionner une jeune fille de passage", complète, très sérieusement, le médecin. En clair, pendant la compétition, les Bleus sont appelés à la raison. La victoire finale à l’Euro est - aussi - à ce prix-là.