"Nous écoutons, l'Amérique écoute et le monde nous écoute aussi probablement". Mardi soir, tous les membres des commissions de la justice et du commerce du Sénat américain étaient bien conscients de l'enjeu de l'audition qui allait débuter. Pour la première fois, le fondateur et CEO de Facebook, Mark Zuckerberg, avait accepté de répondre aux questions des sénateurs. Encore impensable il y a quelques semaines - Zuckerberg préférant envoyer d'autres responsables de Facebook à sa place -, cette audition était devenue inévitable depuis l'éclatement du scandale Cambridge Analytica mi-mars.
C'est donc dans une salle bondée comme, de l'aveu même des sénateurs, elles le sont rarement pour des auditions, que Mark Zuckerberg, 33 ans, s'est présenté devant les 44 élus qui allaient l'interroger. Et pour le fondateur de Facebook, les choses avaient plutôt mal commencé. Avant même son discours d'introduction, les sénateurs ont montré leur énervement. "Cambridge Analytica a utilisé les données récoltées grâce à Facebook pour influencer l'élection présidentielle américaine", a lancé la démocrate Dianne Feinstein à un Mark Zuckerberg blême et visiblement pas très à l'aise dans son costume-cravate (en opposition totale à son traditionnel look jean/t-shirt gris). "L'industrie de la tech a l'obligation de répondre aux questions sur l'usage des données personnelles. Le statu quo ne peut plus fonctionner", a poursuivi Chuck Grassley.
"Je suis responsable de ce qui se passe"
Très vite, le fondateur de Facebook s'est pourtant rattrapé. Dès le début de son court discours, il a de nouveau présenté ses excuses, à titre personnel. "Il est maintenant clair que nous n’avons pas fait assez pour protéger ces outils (de Facebook) des usages malicieux comme les fake news, l’interférence dans les élections ou les discours de haine. C’était une grosse erreur. Je suis désolé. J’ai créé Facebook, je le dirige, je suis responsable de ce qui passe", a-t-il admis. Pas question pour autant de s'attarder sur le sujet. Mieux vaut vanter les utilisations "positives" de Facebook et des réseaux sociaux comme la tribune qu'ils ont donnée aux femmes dans le cadre du mouvement #metoo ou la possibilité pour les petites entreprises de faire leur publicité et de croître...
“It was my mistake, and I’m sorry. I started Facebook, I run it, and I am responsible for what happens here.”
— NBC News (@NBCNews) 10 avril 2018
Watch Mark Zuckerberg’s full opening statement before Congress https://t.co/HWBi1ewcpapic.twitter.com/VaLFpeFG4d
Mais ce qui a sauvé le fondateur de Facebook, c'est sans aucun doute le fonctionnement de l'audition lui-même. Chaque sénateur disposait, à suivre, de cinq minutes pour poser des questions au patron de Facebook. Mais certains voulaient aborder trop de sujets différents quand d'autres n'étaient pas assez au courant des enjeux des réseaux sociaux. Et certains se retrouvaient alors avec trop de temps devant eux quand d'autres, plus calés sur le dossier, n'en avaient pas assez. Mark Zuckerberg a alors eu tout loisir de répondre uniquement aux questions qui l'arrangeaient. Et surtout de ne pas prendre trop de risques.
Des pirouettes et (encore) des pirouettes
Pour ne pas répondre aux questions les plus embarrassantes, le fondateur de Facebook n'a pas hésité à se cacher derrière son équipe. "Je ne sais pas", "Je ne suis pas au courant" et "Mon équipe pourra revenir vers vous à ce sujet" sont sans aucun doute les phrases qu'il a le plus prononcées durant les quatre heures d'audition. Jusqu'à ce que certains sénateurs s'en énervent ouvertement. La démocrate Maria Cantweel, qui l'interrogeait sur la possibilité que Palantir, une autre société d'analyse de données, ait pu récupérer des informations à la manière de Cambridge Analytica s'est heurtée à un mur, avant de répondre sèchement "Ok". Même problème pour le sénateur Roger Wicker qui interrogeait le jeune patron sur le suivi de l'activité des utilisateurs hors de Facebook. "Vous ne savez pas ?", a fini par lâcher le républicain. "Je veux être sûr que tout soit clair", a redit Zuckerberg, sans répondre sur le fond.
D'autres entreprises ont-elles, comme Cambridge Analytica, récupéré les données des utilisateurs ? Là encore, le flou est total. "Comme je l'ai dit, nous sommes en train de conduire un audit sur les applications qui ont accès à un volume important de données", a simplement répondu le CEO du réseau social. Alors pour pousser le jeune patron à répondre, certains l'ont pris à son propre jeu en usant de pirouettes. "Est-ce que vous seriez d’accord pour nous dire dans quel hôtel vous avez dormi hier ?", lui a demandé le sénateur Dick Durbin. Réponse, gênée, du fondateur de Facebook : "Euh… non". Et le démocrate de renchérir : "Si vous avez envoyé des messages cette semaine, vous seriez d’accord pour nous dire à qui ?". "Non, je ne serais pas d'accord pour le faire ici publiquement", admet encore Zuckerberg. "Je pense que c’est de ça qu’il s’agit, la limite de votre vie privée et ce que vous êtes prêt à donner pour connecter les gens dans le monde", a conclu l'élu de l'Illinois.
Sen. Durbin: If you've messaged anybody this week, would you share the names of the people you've messaged?
— NBC News (@NBCNews) 10 avril 2018
Zuckerberg: "No, I would probably not choose to do that publicly here"
Durbin: "That might be what this is all about: Your right to privacy... and how much you give away" pic.twitter.com/WQtE1lVDdk
"Il y aura toujours une version gratuite de Facebook"
Mark Zuckerberg a tout de même donné quelques pistes sur la gestion des données personnelles. Interrogé à plusieurs reprises sur la possibilité de proposer une version payante de Facebook qui n'exploiterait pas les données de ses utilisateurs, le fondateur n'a pas fermé la porte en précisant toutefois qu'il existerait "toujours une version gratuite". "C'est notre mission de connecter les gens partout dans le monde et de les rapprocher et, pour ce faire, nous estimons que nous devons apporter un service que tout le monde peut s'offrir", a-t-il ajouté.
Egalement interrogé sur les discours haineux publiés sur le réseau social, Mark Zuckerberg a expliqué miser beaucoup sur l’intelligence artificielle. "Nous développons des logiciels d'intelligence artificielle qui pourront mieux détecter ces contenus", a-t-il assuré tout en précisant qu'il était "très difficile" de faire la différence entre ce qui relève de la liberté d'expression et ce qui est un discours de haine. Il faudra encore attendre "cinq à dix ans" pour que ces logiciels soient en mesure de faire la différence entre les deux. D'ici là, Facebook embauche de plus en plus de personnes pour travailler sur la sécurité de son réseau social. Elles seront 20.000 d'ici la fin 2018, selon les chiffres de Mark Zuckerberg.
2,7 milliards de gagnés
Avec ces réponses, Mark Zuckerberg semble s'être bien tiré de son audition. L'action du réseau social a pris 4,5% à la bourse de New York pendant qu'il parlait devant le Sénat. Résultat : pendant qu'il échangeait avec les sénateurs la fortune de Mark Zuckerberg a augmenté de 2,7 milliards de dollars. Une opération déminage réussie donc, mais qui est loin de clore le dossier. Le fondateur de Facebook sera de retour devant le Congrès, mais cette fois-ci à la chambre, dès mercredi pour une nouvelle audition. Puis, il devra ensuite, dans les semaines qui viennent, dévoiler les résultats de l'audit en cours sur les applications qui accèdent à un important volume de données.
Pendant que Zuckerberg parlait, l'action Facebook s'envolait à la Bourse :