Dans le brouhaha de réactions au décret anti-immigration signé par Donald Trump la semaine dernière, une mesure dudit texte est un peu passée inaperçue. Elle est pourtant de première importance puisqu’elle concerne nos données numériques personnelles. Le décret stipule en effet que "les dispositions du Privacy Act sur la protection des données personnelles" ne doivent plus s’appliquer à ceux "qui ne sont ni des citoyens des États-Unis ni des résidents permanents légaux" et ce, "dans les limites de la loi applicable".
Conséquence de l'affaire Snowden. Le Privacy Act est une loi américaine votée en 1974 qui prévoit pour les citoyens américains et les résidents permanents légaux un droit de regard et de recours en cas d’utilisation illicite de leurs données, sauf si cela a trait à la sécurité nationale. Ce texte a été renforcé l’an dernier après qu’Edward Snowden ait révélé que par le biais du programme Prism, la NSA accédait sans encombre aux données amassées par les géants d’Internet.
En quoi cela nous concerne-t-il ? Les données collectées en Europe par les Amazon, Facebook, Google et autre Apple ne sont pas stockées sur le territoire européen mais aux États-Unis. Le transfert est réglementé par un accord-cadre, le Privacy Shield ("bouclier de confidentialité"), en vigueur depuis le 1er août 2016. Ce dernier garantit aux habitants de l’Union européenne un "niveau de protection adéquat". Le Privacy Shield accorde donc aux citoyens européens les droits du Privacy Act, ainsi que le "droit légitime à la vie privée" instauré en 2014 par Barack Obama dans une directive présidentielle.
L'Union européenne veut des garanties
Le décret signé par Donald Trump remet donc en cause la protection des données des internautes européens. Certes, il ne piétine pas le Privacy Shield : l’accord-cadre transatlantique est encore en vigueur. Mais cela en dit long sur les intentions de Donald Trump. Le président américain place sur un piédestal la sécurité intérieure, peu importe que cela entrave la liberté de circulation des ressortissants de sept pays musulmans ou que les agences de sécurité puissent consulter librement les données personnelles des internautes européens.
Risque de dérives. L’imprévisible Donald Trump pourrait donc bien décider dans les mois à venir de détricoter les mesures prises par l’administration Obama en matière de protection des données. D’après CNN, le président envisagerait même de demander à chaque personne entrant aux États-Unis de fournir une liste de ses contacts téléphoniques, son historique de navigation et son activité sur les réseaux sociaux…
L’agitation de Donald Trump inquiète Bruxelles. "Nous suivons de près ce qui se passe aux États-Unis", a réagi la commissaire européenne à la Justice, Vera Jourova. "J'ai besoin de certaines assurances quant au maintien du Privacy Shield", a-t-elle ajouté. Pour parer au pire, l'UE pourrait pousser ses investissements dans les entreprises européennes du numérique afin d'en faire, à terme, des concurrents crédibles et respectueux aux géants américains.
Qwant, futur champion européen de la protection des données ?
Parmi les entreprises qui pourraient bénéficier d'un tel envol se trouve Qwant. Le moteur de recherche français lancé en 2013 se veut une alternative à Google avec toutefois une différence de taille : Qwant respecte la vie privée et ne collecte pas les données des utilisateurs. "On n’a pas de mémoire. On ne sauvegarde pas vos recherches pour vous apporter des réponses, nous privilégions la neutralité", a résumé Éric Léandri, l'un des deux fondateurs de la start-up, lors d’une conférence de presse.
Qwant grandit. Cette conférence était l’occasion pour Qwant d’annoncer une levée de fonds de 18,5 millions d’euros auprès de la Caisse des dépôts (CDC) et du groupe de presse allemand Axel Springer (détenteur de Bild). Tous deux détiennent désormais chacun 20% du capital du moteur de recherche français. "Cet investissement en fonds propres permettra le développement en Europe d'un moteur de recherche alternatif, disposant de sa propre technologie d'indexation, garantissant la confidentialité des données personnelles des utilisateurs", ont-ils souligné.
"Aujourd'hui, on dit plus de choses à son moteur de recherche qu'à sa propre mère" pic.twitter.com/6pJ1ih32CE
— Qwant FR (@Qwant_FR) 2 février 2017
Avant eux, la Banque européenne d’investissement avait injecté 25 millions d’euros chez Qwant, signe du soutien de l’Union européenne. Le moteur de recherche français en a bien besoin pour exister face à Google. Le géant américain représente entre 80 et 90% des recherches effectuées dans la plupart des pays d’Europe. A côté, Qwant s’arroge 1,2% de part de marché en France et 0,6% en Allemagne.
Croissance rapide. Mais la start-up niçoise grappille du terrain, petit bout par petit bout. Le moteur de recherche compte actuellement 30 millions de visiteurs, contre seulement 8 millions un an plus tôt. "Nous sommes maintenant dans le Top 100 des sites les plus populaires en France", se félicitait jeudi Alberto Chalon, le directeur des opérations de Qwant. De plus, depuis son lancement le 26 janvier, 50.000 personnes ont déjà téléchargé l’application pour smartphone du moteur de recherche.
Conquérir l'Europe. Grâce à ses soutiens français et européens, Qwant nourrit donc des ambitions. En juillet dernier, Éric Léandri espérait prendre dans les prochaines années "5 à 8% du marché global des moteurs de recherche en Europe". Avec les signaux menaçants envoyés par Donald Trump concernant l’utilisation des données personnelles des européens, il y a fort à parier que Qwant arrive à séduire les internautes inquiets.