Des pratiques commerciales "abusives". Bruno Le Maire, a annoncé mercredi matin que l'Etat avait assigné Google et Apple en justice devant le tribunal de Commerce. En cause, les conditions imposées par les deux entreprises aux développeurs français d'application. "Lorsque des développeurs veulent vendre leurs applications à Google ou à Apple ils se voient imposer des tarifs, Google et Apple récupèrent les données et ils peuvent modifier unilatéralement les contrats. Tout cela est inacceptable, ce n'est pas l'économie que nous souhaitons", a expliqué le ministre de l'Economie sur RTL. "Je considère que Google et Apple, aussi puissants soient-ils, n'ont pas à traiter nos start-up et nos développeurs de la manière dont ils le font aujourd'hui", a-t-il ajouté.
Pour en arriver à ces conclusions, Bruno Le Maire se base sur une enquête menée par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) entre 2015 et 2017. Le gendarme de la concurrence a mis en lumière un "déséquilibre significatif" entre les développeurs d'applications et les éditeurs qui gèrent leur diffusion, explique un responsable de Bercy à Europe 1. Désormais, l'Etat réclame deux millions d'euros à Google et Apple. Mais alors quelles sont vraiment les pratiques des deux entreprises ?
Google et Apple gèrent la distribution
Si Google et Apple se retrouvent attaqués sur le sujet, c'est d'abord parce qu'ils gèrent la distribution d'applications sur leurs systèmes d'exploitation. Apple contrôle les applications proposées sur iOS, le système d'exploitation des iPhone et iPad, tandis que Google gère celles qui sont présentes sur Android, et donc sur les mobiles de Samsung, Sony ou encore LG. Pour proposer une application sur l'un de ces deux systèmes, les développeurs ont l'obligation de passer par les magasins de Google, le Play Store, et d'Apple, l'App Store. Contrairement à ce qu'explique Bruno Le Maire, les développeurs français ne vendent donc pas leurs applications à Google et Apple, mais les proposent sur leurs magasins d'application pour que les utilisateurs d'iOS ou d'Android puissent ensuite, eux, les acheter.
Pour figurer sur les magasins d'Apple ou de Google, les développeurs doivent - comme l'indique le ministre de l'Economie - accepter le contrat que leur soumettent Apple ou Google. Celui-ci est le même pour tous et ne varie que de manière très marginale en fonction des pays. Ces contrats prévoient notamment que les litiges éventuels soient arbitrés par la justice américaine, et même californienne, puisque Google comme Apple sont installés dans cet état. "Ils peuvent modifier unilatéralement les contrats", regrettait par ailleurs Bruno Le Maire. C'est en partie vrai.
Google et Apple, comme les autres géants du web, obligent leurs partenaires à accepter leurs contrats, sans modification possible, s'ils veulent travailler avec eux. Ils peuvent ensuite soumettre des modifications que les développeurs d’applications doivent valider. Ils n'en ont pas l'obligation, mais en cas de refus des changements, leurs applications ne sont plus proposées sur l'App Store et le Google Play, ce qui est impensable pour une société dont la mission est de proposée des applications.
Des tarifs fixés à l'avance
L'autre point important dénoncé par Bruno Le Maire concerne les tarifs des applications. Ils seraient "imposés" par Google et Apple. Pour éviter que les prix ne varient au centime près entre les applications, les deux sociétés utilisent effectivement des barèmes de prix. Les développeurs doivent ensuite s'y tenir. Sur l'App Store, il est par exemple impossible de vendre leur application 59 centimes. Ils doivent choisir entre le premier pallier fixé à 49 centimes et le second à 99 centimes. Différents paliers permettent ensuite de choisir son prix. Dans le cas d'Apple, on trouve par exemple 1,09€, 1,99€, 2,29€, 2,99€, 3,49€, 3,99€ ou encore 4,49€. Pour les montants les plus élevés, l'écart entre les pallier est plus important. A partir de 499 euros, seuls un tarif est possible par tranche de cent euros (599, 699, 799...).
"Quand vous proposez votre application sur le Google Play ou l'App Store, Google et Apple peuvent utiliser librement toutes les informations que vous leur fournissez sans aucune réciprocité", pointe également un responsable de Bercy joint par Europe 1. "Ils s'excluent de toute responsabilité auprès des développeurs, mais aussi des utilisateurs", poursuit-il en insistant sur le fait que cette assignation doit permettre de "protéger les développeurs et les consommateurs". Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que Bercy s'en prend à un géant du numérique. Amazon avait également été assignée en justice à l'automne dernier pour ses pratiques vis-à-vis des vendeurs. "Un jour vous étiez référencé, le lendemain on décidait que non et au passage on prenait une commission", pointe cette même source à Bercy.
Malgré cela Google a affirmé que ses conditions étaient "conformes" à la législation française. "Avec plus de 1000 téléchargements par seconde, Google Play est un excellent moyen pour les développeurs d'applications en Europe, de toutes tailles, dont beaucoup en France, de proposer leurs applications aux utilisateurs du monde entier. Nous avons collaboré avec la DGCCRF sur de nombreux sujets ces dernières années, y compris sur Google Play. Nous considérons que nos conditions sont conformes à la législation française et nous sommes prêts à expliquer notre position devant les tribunaux", explique l'entreprise dans un communiqué transmis à Europe 1. Contactée, Apple n'était pas en mesure de réagir immédiatement.