"La surpopulation, les crachats, les intimidations" sont déjà le lot quotidien, mais "avec ce qui est arrivé à notre collègue, on est très touchés", témoignait lundi sous le couvert de l'anonymat un agent de 28 ans devant la prison de la Santé à Paris aux accès en partie bloqués dans la matinée. Jeudi soir, il est 22H45 quand trois individus masqués pénètrent au domicile d'un surveillant à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Ils le rouent de coups, lui et sa conjointe, puis quittent les lieux en proférant des "menaces en lien avec le travail de l'agent", selon le parquet de Bobigny.
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"Nouveau cap" franchi
En soutien, dès vendredi, des agents ont pris leur poste en différé de quelques minutes. Lundi matin, un barrage filtrant a été installé, a constaté l'AFP. "On se sent vulnérable", commentait alors un collègue du surveillant attaqué dans le quartier d'isolement. Cette agression à domicile, "c'est inédit" et "une enquête de police est en cours", a indiqué par mail Bruno Clément Petremann, directeur de la prison de la Santé.
"On a franchi un nouveau cap", estime pour sa part Wilfried Fonck, représentant Ufap Unsa joint par téléphone. Pour lui, "on est dans la continuité" du meurtre de deux agents pénitentiaires le 14 mai, abattus dans un guet-apens au péage d'Incarville (Eure), qui a permis l'évasion du détenu multirécidiviste Mohamed Amra. Un protocole d'accord, prévoyant une trentaine de mesures destinées à améliorer la sécurité des agents, avait été signé dans la foulée par quatre organisations de l'intersyndicale des surveillants et le ministre de la Justice d'alors, Eric Dupond-Moretti.
Mais les incidents de ces derniers jours traduisent une situation dénoncée depuis des années, alors que la France comptait au 1er août 78.397 personnes incarcérées. Régulièrement, la contrôleuse générale des prisons Dominique Simonnot alerte sur "la dégradation des conditions de détention", "l'épuisement du personnel" ou "la saturation de l'ensemble des services", avec pour corolaire "l'incapacité du système pénitentiaire à remplir sa mission de réinsertion".
Lundi, la prison mahoraise de Majicavo, bouillonnait encore, deux jours après une mutinerie lors de laquelle un agent a été légèrement blessé et un autre pris en otage. Les surveillants en service ont exercé leur droit de retrait pour le second jour consécutif, selon la CGT pénitentiaire. "Personne dans l'Hexagone n'accepterait les conditions de détention qui sont celles de Mayotte", assure Vincent Pardoux, secrétaire régional FO pour la Réunion et Mayotte. Il décrit des cellules de 10 m2 où s'entassent quatre à cinq détenus et, par ricochet, des conditions de travail intenables pour des surveillants qui craignent pour leur intégrité physique.
"Les miracles sont à Rome, pas place Vendôme"
Au 1er août, selon les chiffres du ministère de la Justice, la densité carcérale globale en France s'établissait à 126,4%. Mais dans les maisons d'arrêt, où sont incarcérés les détenus en attente de jugement et ceux condamnés à de courtes peines, elle atteint 151,6%. A Majicavo, elle avoisine les 177%. A Nîmes, 237%. Là, des incidents ont également éclaté samedi au moment sensible de la fin de la promenade, quand les détenus regagnent leurs cellules.
Les établissements pénitentiaires d'Occitanie sont "au bord du gouffre", résumait l'Ufap-Unsa Justice dans un communiqué du 23 septembre. Là comme ailleurs, le même constat pour les syndicats: un manque asphyxiant de places, d'effectifs et de moyens. Plusieurs délégués syndicaux décrivent lundi des scènes d'intimidation récurrentes pour les surveillants, dans les murs de la prison mais aussi à l'extérieur, sur des parkings ou même dans des supermarchés.
"Le recours à la violence est devenu un mode de fonctionnement", résume Wilfried Fonck. "On est déjà dans l'impossible", assure-t-il, et "on craint qu'on nous demande de faire des miracles" avec la prochaine loi de finances alors même qu'"on ne sait même pas si on aura des moyens pour ouvrir", comme annoncé par l'exécutif, les 18.000 places de prison d'ici à 2027 pour porter la capacité à 78.000 places opérationnelles. Mais, conclut-il, "les miracles sont à Rome, pas place Vendôme".