L'accusation a débuté son réquisitoire au procès d'Eric Dupond-Moretti, le premier ministre de la Justice à être jugé dans le cadre de ses fonctions, en rappelant le caractère "inédit" de la situation et en déplorant le "déni persistant" du garde des Sceaux face à un conflit d'intérêt "évident". "Jamais en prêtant mon serment de magistrat il y a plus de 35 ans, je n'aurais imaginé devoir un jour tenir le siège du ministère public dans un procès mettant en cause le garde des Sceaux", a débuté Rémy Heitz, procureur général de la Cour de cassation, qui porte l'accusation devant la Cour de Justice de la République (CJR).
"Cela ne fait plaisir à personne"
"Cela ne fait plaisir à personne", a assuré le haut magistrat, qui a demandé, exceptionnellement, à pouvoir "tourner le dos" à la défense en requérant à la barre plutôt que depuis sa place d'où il ne "voit pas" une grande partie des juges - trois magistrats professionnels et douze parlementaires. Rémy Heitz a commencé par lever plusieurs "rideaux de fumées" : "le procès n'est pas un règlement de compte de syndicats ou de magistrats contre un ministre", a-t-il notamment assuré. "Ce serait erroné ou complotiste", a poursuivi le magistrat, mettant plutôt en avant le "déni persistant" du ministre et de son équipe sur un conflit d'intérêt "évident".
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Le réquisitoire, à deux voix, avec l'avocat général Philippe Lagauche, doit durer trois à quatre heures. La défense plaidera jeudi. Le garde des Sceaux est accusé d'avoir usé de ses fonctions pour régler des comptes avec des magistrats qu'il avait critiqués quand il était avocat. "J'ai toujours dit que je n'ai pas eu le sentiment d'être dans un conflit d'intérêts, que je n'avais aucune envie de régler des comptes avec qui que ce soit", avait redit le ministre à la barre dans la matinée. Au cours de ce procès, on l'a retrouvé avocat, ne laissant rien passer et faisant subir aux témoins à charge un fond sonore de grommellements et de soupirs exaspérés. "Pardon, je suis un peu bouillonnant", s'est-il excusé auprès de la cour.
"Tout à charge"
Même traitement pour l'accusation et ses "questions orientées" : "la messe est dite", "tout est à charge", s'est plaint l'ex-avocat vedette aux 36 années de barreau. Au fil des audiences, il a multiplié les regards furibonds et jeté de calepin rageurs sur sa table, tourné en direction du procureur général de la Cour de cassation Rémy Heitz. Le ministre et le haut magistrat ont plutôt l'habitude de se croiser lors de rencontres institutionnelles mais ici, Rémy Heitz porte l'accusation, et dira, dans l'après-midi, s'il requiert une condamnation du ministre.
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La première affaire concerne trois magistrats du Parquet national financier (PNF) qui avaient fait éplucher les factures téléphoniques d'Eric Dupond-Moretti quand il était avocat dans un dossier lié à l'ancien président Nicolas Sarkozy - des "méthodes de barbouze", avait-il dénoncé. La seconde affaire concerne un ancien juge d'instruction, auquel il avait imputé des méthodes de "cow-boy" et contre qui il avait porté plainte au nom d'un client pour violation du secret de l'instruction.
Une "guerre" menée contre le garde des Sceaux
Dans les deux cas, l'avocat devenu ministre avait ouvert une enquête administrative contre ces magistrats, pas pour se "venger" de ces affaires devenues le "cadet" de ses soucis, selon lui, mais parce que les procédures étaient déjà lancées par sa prédécesseure Nicole Belloubet. Il n'avait pas de raisons de ne pas suivre les "recommandations" de son ministère, a-t-il martelé. Eric Dupond-Moretti, qui voit dans ce procès le résultat d'une "guerre" menée contre lui par des magistrats qui n'auraient jamais accepté sa nomination, s'est efforcé pendant l'audience de démontrer que l'ouverture de ces enquêtes "s'imposait".
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"Vous détournez l'attention sur l'enquête", mais "c'est son auteur qui est au cœur des débats", avait rétorqué Rémy Heitz. "Si Mme Belloubet était restée ministre (de la Justice, ndlr) et qu'elle avait ouvert cette enquête administrative, elle ne serait pas sur le banc de prévenus aujourd'hui", a-t-il souligné, puisque la question du conflit d'intérêts ne se poserait pas. Eric Dupond-Moretti encourt une peine de cinq années d'emprisonnement et une interdiction d'exercer une fonction publique.