Il y a trois ans, Benjamin Girette, photographe et photojournaliste, s'est mis à travailler avec son iPhone. Au début, il était très seul parmi les professionnels, à l'utiliser. "Sur le terrain, tu ne voyais pas d'iPhone", explique-t-il. Travailler avec un tel outil ne paraissait "pas sérieux". "Tu ne vas pas faire un voyage en Tunisie, en Libye ou au Japon pour sortir un iPhone !" entend-il encore sans cesse. Mais sans cesse, Benjamin Girette dégaine. Et mitraille. C'est sur la place Maïdan, en Ukraine, où il se trouvait pendant les événements de l'hiver 2013-2014, que le photographe s'est retrouvé avec une concurrence féroce de correspondants étrangers. "Tu te retrouves à faire une photo épaule contre épaule avec quinze mecs", décrit-il. Mais le jeune homme de 28 ans tient à couvrir l'actualité. Il lui faut alors "trouver un moyen de se distinguer". L'iPhone devient pour lui un "argument de visibilité". Ses photos ukrainiennes, réalisées à l'iPhone et postées sur Instagram font d'ailleurs parler d'elles, avant même son retour à Paris.
>>> Benjamin Girette, qui collabore aujourd'hui avec les agences de photojournalisme IP3 Press, ou Associated Press, nous parle de l'iPhone, et distille ses conseils de pro.
Boîtier ou iPhone, c'est kif-kif. Quand on demande à Benjamin Girette comment réaliser une belle photo à l'aide d'un iPhone, il s'étonne. L'iPhone, pour lui, est un outil. Avec un boîtier ou avec un smartphone, une belle photo, c'est d'abord "très subjectif", rappelle-t-il, évoquant sa mère ou sa grand-mère, qui mettraient certainement en avant des photos très différentes. Tout cela est une affaire de sensibilité. "Une photo peut te projeter dans ton passé, t'évoquer un moment positif, ou négatif, autant d'éléments qui influencent. Pour moi, une bonne photo est avant tout celle qui va me transmettre une émotion, m'inviter à m'arrêter pour la regarder plus de dix secondes, une photo qui me donnerait envie de m'y perdre, qui me ferait réagir, réfléchir, pleurer ou rire, peu importe, mais qui transmet. Que je sois avec mon boîtier ou mon iPhone, c'est exactement la même chose", affirme Benjamin Girette. Avec les deux, il y a "énormément de possibilités", assure-t-il.
"Avec l'iPhone, ce sont donc les mêmes règles visuelles, le même fonctionnement et les mêmes réflexes de photographe". Benjamin Girette dévoile ses trois conseils, sur le vif :
1: Une composition (le cadrage) : agréable, puissante, provocatrice, timide... bref il faut une intention.
Bon à savoir : En Occident, on lit une photo de gauche à droite. Il faut donc raconter quelque chose dans son image, et penser à ne pas couper les gens, ou les têtes.
2: Une lumière maîtrisée, surexposée, sous exposée... Là encore, il faut se déterminer selon l'effet voulu.
3: Le timing : quand tu appuies sur le bouton, parfois tu es trop rapide, parfois trop lent, parfois juste au bon moment... il faut donc tenter de trouver le moment décisif !
Bonus : avoir de la chance.
Facetime on Broadway - New York Une photo publiée par Benjamin Girette (@benjamingirette) le
Format carré. Avec l'iPhone, rien ne change ? Si, le format. "L'iPhone a propulsé le format carré au premier plan. C'est un format, devenu très populaire, car moins contraignant pour un photographe, qu'un format horizontal ou vertical de boîtier", précise Benjamin Girette. Le format carré est surtout souvent plus facile à utiliser. "Tu veux prendre un bijou, une tête ou un groupe ? Rien de plus facile, "tu centres ton sujet, ça te fait une bonne photo", conseille le photographe, qui compare le carré à un "viseur. Tu le mets au milieu, et tu appuies. La composition sera bonne."
Pour un portait, avec un appareil photo classique, c'est moins facile... "Si je centre mon sujet, il y a quand même beaucoup d'espace où il ne se passe rien. On se pose la question : dois-je mettre la tête à droite ou à gauche ?", confie le photographe, qui voit en l'iPhone "une évidence, une simplicité."
Et pour aller plus loin ? Benjamin Girette encourage à dépasser la photo classique, mais là encore, tout est une question de regard, et d'intuition. "L'idée, c'est aussi de parvenir à transformer la contrainte pour en faire quelque chose de joli. Il y a mille façons de prendre une photo en contre-jour, ou un portrait."
Mobile Breakfast - Paris Une photo publiée par Benjamin Girette (@benjamingirette) le
L'iPhone, passe partout. "Quand l'iPhone est apparu, on a vite compris que la qualité était enfin suffisante pour intéresser la presse, les expos, les grands tirages etc", raconte le photoreporter, habitué au terrain. "Pour moi, au tout début, c'était surtout la volonté de m'amuser avec ce nouveau format, mais aussi de m'amuser avec un appareil que j'allais avoir tout le temps sur moi, et donc un appareil que j'allais pouvoir sortir dans des endroits où il est interdit d'avoir un appareil photo", raconte Benjamin Girette, qui se souvient de "situations où on te retire ton appareil photo, mais où on te laisse ton téléphone portable."
Il a donc commencé à utiliser l'iPhone comme ça, à prendre d'abord "ses potes", puis "le street-artiste de son quartier". Grâce à Instagram, "en moins de deux minutes, je prends une photo, je la retouche rapidement, je la poste et automatiquement, les gens reçoivent ma photo dans leur poche !", s'émerveille-t-il encore.
D'autres part, quand le photographe "sort son boîtier", il créé inévitablement "une distance avec les gens. Il y en a qui ont peur, d'autres qui sont fascinés, peu importe, mais le rapport est soudain biaisé", constate Benjamin Girette. "Quand tu sors l'iPhone, tu te rends compte que plus rien ne change. Parce que c'est un objet familier pour les gens. Le mec qui n'est pas photographe et qui se tient à côté de toi, il a dans sa poche, le même appareil que celui que tu pointes sur lui. Il ne pense pas, alors, à ton esprit tordu de photographe qui va vouloir le mitrailler !", nous souffle-t-il.
Broadway Corner - New York Une photo publiée par Benjamin Girette (@benjamingirette) le
Le filtre est-ce que c'est tricher ? "Si je ne suis pas photojournaliste, ma liberté est totale", assure Benjamin Girette, qui met tout de même en garde. "Ce qui m'intéresse, c'est malgré tout le résultat final. Que tu aies placé un filtre rouge, monochrome, c'est-à-dire noir et blanc, ou que tu aies une couleur extrêmement saturée… peu importe. Je le vois bien que ton coucher de soleil n'est pas réaliste ! Par contre, si la photo originelle est étouffée par l'effet, si on ne voit que ça, alors le cliché ne me plaira pas. Mais c'est très personnel !"
Et quand on est photojournaliste ? "Là, pour moi, c'est très problématique parce qu'on n'a pas le droit de modifier l'image", souligne Benjamin Girette. "Dans ce cas, on n'a pas le droit d'enlever ou de rajouter quelque chose, c'est une question d'éthique et d'honnêteté. Les filtres ne sont pas interdits. On a toujours retravaillé les noirs, ou la luminosité en labo ou avec n'importe quel logiciel aujourd'hui. Mais le tout, c'est de savoir à quel moment s'arrêter. Et à mon sens, il faut s'arrêter dès que l'on commence à dénaturer le cliché. Il faut que ta photo ressemble à ce qu'on a vu."
Quid du contre-jour ? Quand on évoque l'écueil du contre-jour, on arrive un peu à la limite de l'iPhone. Là encore, Benjamin Girette nous dévoile son truc à lui : "Je n'utilise pas l'appareil photo de l'iPhone. Je passe par l'application "Hipstamatic". Elle permet de retoucher, d'appliquer des filtres à ses photos. C'est la première application qui a vraiment fait des photos de qualité, avec de jolis filtres. Petite astuce : "quand tu prends des photos avec ton iPhone, il ne faut pas les retoucher avec Instagram, mais avec une application." Pour sa part, le photographe passe par la deuxième version d'"Hipstamatic", "Oggl", qui lui permet de modifier les fichiers originaux à volonté.