Le milieu hospitalier, Thomas Lilti le connaît bien. Et pour cause, à côté de son métier de réalisateur, il exerce comme médecin. Avec Hippocrate, sorti mercredi sur les écrans, il filme l'hôpital de l'intérieur, à travers les aventures d'un jeune interne confronté à la pratique. Benjamin, incarné par Vincent Lacoste, effectue son premier stage d'interne à l'hôpital, dans le service de son père. Il fait la rencontre d'un médecin algérien, joué par Reda Kateb, redevenu interne pour pouvoir exercer en France. Des médecins qui doutent, l'ombre menaçante des erreurs médicales, le poids de la responsabilité, les rapports parfois tendus entre collègues : ils vont tout traverser. Europe 1 a demandé à des internes, ou ex-internes en médecine, de revenir sur des scènes clés du film.
>>> Valentia est une ancienne interne des Hôpitaux de Paris. Thibault est en fin de première année d'internat en médecine générale.
Solitude des internes. Au premier jour de son arrivée dans le service, Benjamin, le héros du film, doit réaliser une ponction lombaire, un exercice avec lequel il n'a pas l'air d'être familiarisé. "Cette scène est complètement réaliste", analyse Valentia. "Il y a toujours une première fois. En général, on va une première fois assister à l'acte et puis on se lance. Mais il arrive effectivement que personne ne soit là, et il faut quand même le faire. C'est valable pour plein d'actes médicaux !" confie-t-elle. "L'ambiance est bien restituée avec l'interne un peu abandonné, les infirmiers qui craquent..." Thibault, lui, n'a pas eu la même expérience : "J'ai eu de la chance. Je n'ai pas le sentiment d'être seul, les médecins séniors sont présents et à notre disposition en cas de questions."
Une ambiance plutôt réaliste. Des dessins obscènes sur les murs de la chambre de garde, une scène de bizutage au réfectoire, Benjamin, le jeune interne, plonge rapidement dans le bain hospitalier. Ces détails sont "très réalistes", explique Valentia. "Le film reproduit bien ces règles, finalement assez bon enfant, qui imposent de ne pas parler de patients pendant qu'on mange", raconte Thibault. Et les caricatures obscènes des médecins en chef sur les murs ? "C'est vrai aussi", confie-t-il.
Le manque cruel de moyens. A l'écran, le matériel semble souvent cruellement manquer ou bien les machines sont défectueuses, "comme dans cette scène, plausible, où l'électrocardiogramme cassé empêche la prise en charge du patient", rappelle Valentia. "Il y a des points où on se retrouve, au niveau du manque de personnel et de moyens", explique Thibault. "Moi j'étais dans un service qui se chargeait de maladies infectieuses et il n'y avait pas de thermomètres", raconte le jeune homme. "Donc il fallait aller en chercher dans un autre service, et parfois on ne prenait tout simplement pas la température..."
Être couvert par sa hiérarchie en cas d'erreur, ça arrive vraiment ? C'est ce qui arrive dans le film, lorsque Benjamin ne peut pas réaliser l'électrocardiogramme, et que les conséquences sur le patient se révèlent graves. "Personnellement, ça ne m'est jamais arrivé, mais c'est crédible", raconte Valentia. "Le milieu médical est assez confraternel. On peut être confrontés à deux sortes de fautes : la faute médicale involontaire. C'est tragique pour le patient, mais ça peut arriver. Dans ce cas c'est de la responsabilité de l'hôpital. La seule faute attribuable à l'interne, ce serait une faute détachable du service, volontaire, gravissime, qui engage cette fois la responsabilité de la personne." Thibault, lui, souligne tout de même que "le réalisateur montre un aspect un peu sombre de la médecine. Le parti pris sur les erreurs médicales, je n'ai pas eu à le vivre", assure-t-il.
Et les désaccords entre les personnels soignants ? "On ne se dispute pas de façon aussi théâtrale, mais ça arrive", raconte Valentia. "La question de la fin de vie notamment, abordée dans le film, engage des compétences, mais aussi les croyances de chacun, le regard qu'on a sur chaque patient, l'histoire qu'on a avec le patient. Il m'est arrivé la même chose que dans Hippocrate. Mon chef m'a demandé un jour de poser une sonde à un patient qui ne se nourrissait plus et j'ai refusé. Je lui ai dit de s'en charger lui-même, parce que j'étais contre. Il m'a écouté, il a été plus cool que dans le film !", précise-t-elle. Thibault aussi a été confronté à des conflits, "mais peu de médecins se seraient acharnés sur une telle patiente, en fin de vie et si malade. La scène de la réanimation est aussi un peu grosse", juge-t-il.
"Ça reste un peu exagéré." Le réalisateur pousse un peu le bouchon sur certaines scènes, estime Valentia. "Ça reste un peu exagéré : par exemple pour la scène avec la patiente intubée qui reste en chambre. En fait c'est impossible, car ce genre de matériel est seulement disponible en réanimation. Lorsque les internes enfin, débranchent une patiente sans concertation, là encore le réalisateur invente." Pour Thibault, "les personnages paraissent parfois un peu simples. Le réalisateur a voulu montrer des traits de caractères qui sont vrais, mais que j'ai trouvé un peu caricaturaux." Même chose pour le héros du film. "On a vraiment l'impression que le héros découvre l'hôpital. Dans la réalité, ce n'est pas le cas d'un interne, qui a fait l'externat. Il a passé toutes ses matinées à l'hôpital et ses après-midi en cours, pendant trois ans", explique l'interne en médecine.
Un film "qui cerne bien la difficulté des internes". "Globalement, c'est un film quand même très réaliste sur la vie des internes à l'hôpital, sans excès de pathos et de bons sentiments", analyse Valentia. "Je trouve qu'on réalise bien la difficulté des internes (surtout les plus jeunes) qui sont brutalement propulsés médecins. Ils apprennent à gérer des patients, une équipe d'infirmières, la mort, la douleur, à seulement 23 ou 25 ans", raconte Valentia. "C'est ce qui explique à mon sens le paradoxe entre des internes qui travaillent dur avec de grosses responsabilités, et qui, le reste du temps, se comportent comme des ados attardés, ce que le film montre à travers plusieurs scènes collectives", poursuit-elle.
…Mais aussi celle du médecin étranger. Reda Kateb joue le rôle d'un médecin algérien expérimenté, redevenu interne pour pouvoir exercer en France. "La question des médecins étrangers FFI (faisant fonction d'interne) est bien abordée dans Hippocrate", explique Thibault. "Ce sont souvent des médecins très compétents et qui sont un peu exploités dans les hôpitaux publics. Ils ont des salaires très bas, ils sont moins payés que les internes de première année et leur salaire n'évolue pas. Ce sont des gens sans qui l'hôpital public aurait du mal à tourner et c'est bien de l'avoir mis en avant."