Jeanne Cherhal n'aime pas beaucoup le terme de chanteuse "engagée". Tellement "pénibles, les chanteurs moralisateurs…" L'image qui vient lui immédiatement, nous a-t-elle confié, est celle "d'un vieux libertaire avec sa casquette, qui braille, le poing levé". Et ce n'est pas du tout elle. Jeanne Cherhal est une artiste concernée, mais elle n'aime pas faire la morale. Cela tombe bien, nous aussi, à Europe 1, nous n’aimons pas ça.
C’est dont tout naturellement que nous lui avons proposé d’être la rédactrice en chef d’un jour d’Europe1.fr, à l’occasion de la fête de la musique, samedi 21 juin.
La chanteuse Jeanne Cherhal accueillie dans la rédaction d'Europe 1 par Jean-Philippe Balasse, directeur des rédactions numériques d’Europe 1, Ophélie Wallaert, rédactrice en chef d’Europe1.fr et Susie Bourquin journaliste culture du site.
L’actualité dans ses chansons. Avant de démarrer sa revue de presse, Jeanne Cherhal, qui a sorti au printemps son cinquième album, Histoire de J., nous a confié comment l’actualité l’inspire, toujours d’instinct. Quand, en 2012, elle consacre une chanson aux Pussy Riot, condamnées à deux ans de camp pour une prière anti-poutine, la chanteuse nantaise le fait à chaud. Les activistes ont d'ailleurs écouté son titre, ce qui est pour elle "hyper gratifiant"…
Lorsqu'elle écrit une chanson à partir d'un événement, elle prend soin, toujours, de "rester à sa place", confie-t-elle. Dans son dernier album, Histoire de J., sorti chez Barclay, elle aborde la question du viol dans "Non c'est non", ou la violence envers les homosexuelles dans "Noxolo". Pour écrire une chanson, Jeanne Cherhal explique seulement qu'elle a besoin de se sentir émue, en colère, de ressentir quelque chose de fort.
>>> VIDÉO - Découvrez un extrait d'Histoire de J., la chanson "J'ai faim", que Jeanne Cherhal interprète en live dans nos studios.
>>> CONFIDENCES - Les réseaux sociaux, la proximité avec son public, l'artiste se confie à Europe1.fr, à l'occasion de la Fête de la Musique.
L'engouement autour de la Coupe de monde. "C'est une émotion de voir que quels que soient l'origine, la religion, ou le niveau social des populations, tout le monde est réuni de manière hyper démocratique et unitaire derrière cet événement. Je trouve ça très émouvant."
Une photo qui a retenu l’attention de Jeanne Cherhal. "Cette photo dit bien quelque chose de l'époque ! Elle est très parlante puisqu'on voit des Touaregs, un dromadaire attaché à une cabane et puis un ordinateur avec un match de foot diffusé… !"
Et elle, fan des Bleus ? "Honnêtement je ne regarde pas du tout les matchs. Par contre, j'ai un grand souvenir de la finale de 98. J'avais 20 ans et à l'époque, ça avait été une sorte de raz-de-marée d'émotion. Là je n'ai pas suivi, mais je suis en tournée avec beaucoup d'hommes donc je ne peux pas vraiment y couper! J'ai quand même l'impression qu'il y a une meilleure ambiance cette année dans l'équipe de Bleus. Par rapport à la dernière coupe du monde en 2010, où il y avait des personnalités isolées, des grèves, les joueurs faisaient tous la gueule, Nicolas Anelka insultait son entraîneur… J'ai l'impression que Didier Deschamps a réussi à fédérer ses troupes. Ils ont l'air heureux d'être là. Didier Dechamps me fait penser à Aimé Jacquet, plus qu'à Raymond Domenech, c'est un peu le même genre de personnage."
Le combat des intermittents du spectacle. "Au-delà de les soutenir, je suis en plein cœur du problème ! Je suis moi-même intermittente. (…) Quand je lis le sondage d'Europe 1 : "faut-il supprimer le statut d'intermittent", et que les gens ont répondu massivement oui, ça me met hors de moi ! J'entends "statut privilégié" ! En fait ce sont des gens qui ne se rendent pas compte… Ce n'est tellement pas vrai ! Ce n'est pas un métier, ni une position sociale. C'est un statut précaire qui repose sur une assurance-chômage aléatoire. Moi franchement, en tant qu'intermittente, il y a des mois où je préfèrerais avoir un salaire fixe ! Dans les discours, on a l'impression que les intermittents sont payés à rien faire. Alors qu'en tant que chanteuse par exemple, il y a plein de choses que je fais sans être payée. Un acteur, qui passe de longs moments à apprendre son texte, ou à faire des ateliers en prison par exemple, des choses qui sont utiles à la société…ça ne peut avoir lieu que grâce au statut d'intermittent. Et vraiment, ce n'est absolument pas un privilège."
Jean-Marc Ayrault, un Nantais comme elle. "Ah Jean-Marc Ayrault…Je l'aime beaucoup. J'ai beaucoup de respect pour lui, je trouve que c'est un homme droit, un homme de convictions, loyal, pas très fun certes. (Rire) Il est venu deux fois me voir en concert ! Mais j'imagine, que durant son mandat à l'Elysée, il a dû vivre quelque chose de très difficile.
Un an après, le mariage pour tous. "C'est d'abord un grand soulagement que la loi soit passée, parce que ça a fait un tel pataquès l'année dernière. Moi vraiment, j'ai eu honte de la façon dont c'était perçu par la population. L'homophobie, c'est quelque chose que mon cerveau n'arrive pas à comprendre. Je suis abasourdie de voir à quel point certaines personnes sont dérangées par la sexualité d'autrui. Et donc j'ai écrit cette chanson de manière sincère, tout à fait spontanée, pour rendre hommage à cette femme, parce que pour moi, c'est une martyre."
C'est marrant parce que le dernier mariage auquel j'ai assisté, c'était un mariage gay, le prochain aussi. Et c'était exactement comme un mariage hétéro : deux amis qui sont ensemble depuis dix ans, qui pouvaient enfin s'unir. Donc ça m'inspire de la joie, même si personnellement, le mariage ne me fait pas rêver en tant que femme. Mais on a les mêmes droits et ça me semble fondamental.
La situation des femmes dans le monde. Je me sens évidemment concernée. Les viols, l'absence de parité homme/femme dans certains milieux, tout cela me touche tellement que je ne peux pas m'empêcher d'aborder ces sujets-là dans des chansons, d'en parler. Ça fait partie de moi, donc ça fait partie de mon travail.
LA PHOTO CHOISIE PAR JEANNE CHERHAL
Vous n'êtes pas la seule chanteuse engagée… regardez cette photo : Amnesty international a mis en scène des personnalités connues pour dénoncer la torture dans le monde, dont Iggy Pop. Ça vous plaît cette démarche ?
"Je trouve ça super ! C'est très parlant. En plus c'est drôle. C'est parfait ce genre de campagne, parce que ça attire l'œil, on se demande ce qui lui est arrivé. On comprend que c'est une campagne pour sensibiliser contre la torture pratiquée dans le monde. En plus Iggy Pop est quelqu'un qui n'hésite jamais à sauter d'un mur d'ampli, à se rouler par terre, donc il pourrait très bien terminer un concert comme ça (rires). Je trouve ça très fort qu'un figure comme lui se mouille. Je trouve ça très fort, très intelligent, et juste. Drôle et grave à la fois. C'est comme ça qu'on a le plus de chance de faire passer un message."
Jeanne Cherhal interprète sa chanson "J'ai Faim", issue de son nouvel album, Histoire de J. dans les studios d'Europe 1 :
VIDÉO - "J'ai Faim", de Jeanne Cherhal, en live...par Europe1fr