"On voit tout de suite que c'est un bâtiment un peu oublié, en ruine, mais qu'il garde les traces d'une architecture très riche." Il y a six ans, quand il est arrivé à Asnières, Nicolas Sirot, président de l'association "Gare Lisch Renaissance", a eu un coup de foudre pour la gare Lisch et son histoire. En effet, quand on pose les yeux sur la bâtisse, à quelques encablures de la station Bois-Colombes, à Asnières-sur-Seine dans les Hauts-de- seine, on devine, malgré les fenêtres brisées et la nature envahissante autour, les vestiges d'une architecture magnifique.
La gare Lisch sur le Champ de Mars, au pied de la Tour Eiffel.
La gare Lisch, du nom de son architecte, a une histoire incroyable. Ancien embarcadère du Champs-de-Mars, gare des expositions universelles de Paris de 1878 et 1889, elle a été démontée vers le milieu de l'année 1897, avant d'atterrir Impasse de Carbonnets, à la frontière entre Asnières-sur-Seine et Bois-Colombes. En enquêtant, Nicolas Sirot a rencontré Pierre Tullin. C'est lui qui a fait sauver cette pépite architecturale en 1985, en la faisant inscrire à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques. Mais depuis, la gare, laissée à l'abandon, tombe en ruine. Nicolas Sirot se bat depuis deux ans pour la réhabilitation, sur place, de ce petit trésor, propriété de Réseau ferré de France (RFF). Europe 1 l'a rencontré.
"Nœud administratif." En s'intéressant à la gare Lisch, Nicolas Sirot s'est assez vite heurté "au pire nœud administratif qu'on puisse imaginer", confie-t-il. Ce dernier décrit une gare "à cheval entre Asnières et Bois-Colombes, entre deux villes donc, ce qui ne facilite pas les choses." Le bâtiment se trouve aussi sur les terrains du Réseau Ferré de France (RFF), qui, selon lui, n'a aucune envie de "s'asseoir autour de la table." Mais ce n'est pas tout. L'inscription de la gare à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques entraine "toute une autre série d'interlocuteurs". Résultat ? "C'est l'inertie totale", se désole Nicolas Sirot. "Le sujet n'avance pas depuis 30 ans."
Vue intérieure de la gare.
Quels projets évoqués ? En trente ans, les projets sur l'avenir de la gare Lisch, n'ont pas manqué. "On a parlé d'en faire un bâtiment pour le cirque Fratellini, un projet qui date d'il y a trente ans justement, et qui n'a pas survécu", explique Nicolas Sirot. "Il y a eu des projets de musée, des entreprises privées qui ont voulu en faire leur bureau, mais là encore", précise le président de l'association Gare Lisch Renaissance, "ce sont des idées qui remontent à cinq ou six ans." Un autre plan subsiste, dit-il : celui de la déplacer. "Une association de défense du patrimoine a même envisagé de la déplacer dans le parc des Chanteraines, en dehors de la ville d'Asnières", raconte Nicolas Sirot, "mais on n'imagine pas que les Asniérois puissent laisser partir leur patrimoine dans une autre ville."
Parmi les autres pistes : "un projet de la SNCF de ramener la gare dans Paris", mais là encore, Nicolas Sirot n'envisage pas que "la banlieue se laisse déposséder de ses pépites patrimoniales." Autre idée de la mairie selon le jeune homme : celle de déplacer la gare le long de la Seine, dans le parc Robinson. Le passionné n'y croit absolument pas : "on sait qu'il s'agit d'une zone inondable, et que c'est une solution extrêmement coûteuse", dit-il, avant de préciser : "Pour l'association, quelque soit le lieu, un déplacement de la gare reviendrait à la détruire et la reconstruire en un monument pastiche, qui coûterait une fortune."
Vue intérieure de la gare.
Le travail sans relâche de l'association. Dans l'espoir de mobiliser les riverains, Nicolas Sirot a donc monté une page Facebook de soutien. "On s'est rendus compte que ça attirait énormément les gens, on est passés à plusieurs centaines, puis à des milliers de fans", se réjouit-il. "Les 10.188 fans qui nous suivent sont mêmes très actifs." Ensuite, le noyau dur des riverains passionnés a créé un site internet, et une association, "Gare Lisch Renaissance". "Aujourd'hui, on est devenu un acteur légitime de l'avenir de cette gare", affirme Nicolas Sirot, qui confie avoir aussi réussi à toucher des milieux artistiques."
Mais si la mobilisation va bien au-delà de leurs espoirs, l'enjeu est aujourd'hui de faire tendre tous ces acteurs vers une même idée, la seule qui soit viable selon eux : le maintien et la revalorisation du bâtiment, sur place. "On a fait expertiser l'état de la gare, on a contacté et fédéré des experts du patrimoine industriel, et il y a un consensus total de ces experts et des riverains autour de son maintien sur place", assure le président de "Gare Lisch Renaissance." L'association attend maintenant la position officielle de la mairie, sans laquelle elle n'est pas en position de force vis-à-vis de RFF.
Vue intérieure de la gare.
Qu'en pense la mairie d'Asnières ? Du côté de la mairie d'Asnières, ça coince. Thierry Sellier, adjoint au maire d'Asnières, en charge de la démocratie locale évoque "un dossier complexe, car coûteux." Les budgets des communes sont "revus à la baisse", explique l'élu qui évalue le coût à "5 ou 6 millions d'euros pour une réhabilitation sur place." Thierry Sellier assure que "financièrement, la mairie n'a pas les moyens d'intervenir. Même si nous avons la volonté de rénover la gare, car il n'est pas normal qu'un bâtiment classé soit dans cet état, on est dans l'expectative", convient-il. L'objectif principal est donc "de régler la partie financière." Pour le maire "une rénovation passerait forcément par un partenariat public / privé, qui reposerait donc sur des dons."
Deux pistes sont envisagées selon l'adjoint au maire : une réhabilitation sur place, ou bien un démontage et remontage à Asnières ou ailleurs. Entre les partisans du démontage, et ceux qui s'y opposent, "la Mairie d'Asnières n'a pas aujourd'hui de position fixe sur la solution la plus appropriée." Ce qui est sûr, c'est que "les choses seront négociées avec RFF", puisque la gare se trouve sur ses terrains.
Les abords de la gare.
Qu'en pense RFF ? Nicolas Sirot en est convaincu : la gare représente "une verrue" pour RFF, "qui souhaite le déplacement, voire même peut être la destruction de la gare depuis longtemps", assure-t-il, persuadé que RFF "profite de la tergiversation des élus" pour éviter de trancher sur la question. La situation, plongée dans l'inertie la plus totale, devient "scandaleuse" selon le passionné qui voit la gare "se dégrader". Même son de cloche lorsqu'on pose la question à Pierre Tullin, passionné d’histoire ferroviaire. "Oui j'ai un avis qui est fondé sur les 35 ans d'expérience que j'ai sur le dossier", affirme celui qui a déjà sauvé la gare une fois, en 1985. Lui aussi en est certain : "RFF, clairement, n'est pas favorable à ce qu'elle reste là". Un cabinet d'architecte asniérois, était tombé amoureux du bâtiment, y voyant une pure merveille architecturale, et avait décidé de le racheter pour en faire leur agence il y a plusieurs années. Ils ont tout fait, demandé à un infographiste de travailler sur le projet pendant un an, tout le financement était bouclé et RFF n'a jamais donné suite." Pierre Tullin affirme s'intéresser encore au dossier, mais dit-il, ses espoirs se sont amenuisés. "Pour moi, c'est un beau gâchis…"
Ce discours, RFF le rejette, et assure que la gare Lisch est un élément de patrimoine qui retient son attention. "Une destruction n'est pas du tout à l'ordre du jour, comme c'est un bâtiment classé", assure un porte-parole que nous avons pu joindre, évoquant seulement "des pistes à l'étude". La gare n'est pourtant "pas une priorité", concède-t-il. "Notre priorité est de moderniser le réseau, un objectif qui concentre tous nos moyens humains et financiers". Et quand nous évoquons l'état du bâtiment qui se dégrade... "Nous n'avons pas d'échéance aujourd'hui", répond RFF.
Vue intérieure de la gare.
Et si le sauveur s'appelait JR ? "Selon les expertises, nous pensons qu'il est possible de redonner vie à la gare Lisch à partir de deux millions d'euros, en la gardant sur place", soutient pour sa part Nicolas Sirot qui rêverait de la voir transformée en "cité du voyage, de l'aventure et de l'exploration." La gare Lisch, métamorphosée, un peu à l'image du Centquatre à Paris ? "On pense que le lieu est assez rare et extraordinaire. Dans le quartier, les gens disent qu'ils manquent d'un lieu de rencontre, d'espace culturel. On a donc travaillé sur un programme qui permettrait à la population locale d'en profiter."
Pour l'heure, l'association s'est inscrite dans le grand projet du photographe JR "Inside Out", et viennent de monter une opération : Le but fin octobre, c'est d'afficher plus de 200 visages des riverains sur les grilles de la gare, pour montrer que les soutiens sont bien réels. Cerise sur le gâteau ? L'association espère que le photographe JR viendra un jour en personne pour relayer leur cause.