350 planches bourrées des plus belles divagations graphiques. C’est ce que l’on découvre à Landerneau, où l’exposition 1975-1997 : la bande dessinée fait sa révolution, retrace l’existence de deux magazines mensuels de bande dessinée qui ont marqué leur temps, Métal hurlant, de 1975 à 1987, et (A suivre), de 1978 à 1997. Deux revues incontournables qui témoignent de l’ébullition de l’époque post-soixante-huitarde dans le domaine du 9e Art. Avec eux, la bande-dessinée est passée du cercle de l’enfance à celui de l’âge adulte.
Métal Hurlant, magazine d’indépendants, aux couvertures remarquables, a attiré, à l’époque la plus faste, les artistes les plus talentueux de France ou de Belgique, mais aussi des réalisateurs américains. Cette révolution visuelle continue aujourd’hui d’inspirer la Bande-Dessinée contemporaine.
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Quelle était la ligne éditoriale de Métal Hurlant au moment de sa création ?
Métal Hurlant s’est d’abord consacré à la science-fiction et au fantastique car ce sont des domaines où n’existe aucune limite. Les dessinateurs ont soudain eu une liberté totale. C’est tout ce qui a fixé l’existence de Metal Hurlant : n’obéir à aucune règle. D’autant que la revue est née peu de temps après les événements de mai 68, qui ont donné aux dessinateurs le désir soudain de réaliser leur BD. En 1975, quatre personnes créent donc Metal Hurlant. La grande star à l’époque, c’est Philippe Druillet, connu pour ses dessins de science-fiction. Pour Métal Hurlant il réalise, pour la première fois dans le monde du 9e Art, une planche complètement éclatée où frappe l’absence de cases. Jusque-là on est encore dans un registre et une forme très classiques, avec des cases, et des sujets presque exclusivement enfantins, avec Tintin, Astérix, ou Lucky Luke.
Pendant deux ou trois ans, les artistes restent dans la veine de la science-fiction, puis Philippe Manœuvre rejoint l’équipe à l’été 76. Il apporte avec lui "l’esprit rock." Cela implique l’apparition de l’humour. Lucien la banane, le rockeur à la banane de Frank Margerin, est l’un des immenses succès de l’époque. Manœuvre donne ainsi un nouveau souffle à la revue avec deux ingrédients qui font mouche : le rock et l’humour.
Pourquoi peut-on parler d’une révolution ? Qu’avait-elle de subversif, de moderne ?
Dans Métal Hurlant, les auteurs parlent beaucoup de sexe, qui était jusque là un thème presque banni de la bande dessinée. Les thèmes changent, mais aussi les regards. Les dessinateurs se tournent vers l’autobiographie. Ils traitent de tous les sujets qui font leur vie. La bande-dessinée devient plus intime.
Mais la révolution existe aussi au niveau du dessin : Métal Hurlant constitue un véritable laboratoire. Plusieurs dizaines de réalisateurs dessinent pour la revue, comme par exemple Marc Caro, l’auteur, avec Jean-Pierre Jeunet, de Delicatessen. La revue attire des réalisateurs qui s’en inspirent pour leurs films. Même aux Etats-Unis c’est un choc graphique, visuel et intellectuel. Ridley Scott débarque souvent dans les locaux de Métal Hurlant. Moebius a travaillé sur le personnage de son Alien. Besson est un enfant de Métal Hurlant. Son film, Le 5e élément, est complètement inspiré des dessins de Moebius.
Philippe Druillet a eu cette phrase "Nous étions un groupe de rock graphique ", qu’est-ce que ça signifie ?
Les dessinateurs composent leurs planches comme des partitions de musiques. Ça donne de grandes envolées wagnériennes, notamment chez Druillet dans Salammbô par exemple avec des cohortes de guerriers qui envahissent les pages. Pour Philippe Manœuvre, la revue s’apparente à la musique de Hendrix, dans ce qu’elle a d’improvisée.
Metal Hurlant continue d’inspirer la BD contemporaine ?
C’est simple, il n’y aurait pas la bande dessinée contemporaine s’il n’y avait pas eu Métal. Pas de Chat du Rabbin, par Joann Sfar ni de Persepolis, de Marjane Satrapi. Métal Hurlant ouvre une brèche très importante dans le monde de la BD : on peut faire ce qu’on veut. L’influence est donc surtout psychologique au fond, c’est un vent de liberté.
Cette revue a-t-elle un équivalent aujourd’hui ?
Non, elle n’a pas d’équivalent. Les seuls qui ont utilisé un peu l’esprit de la revue sont les réalisateurs du "cyberfilm" Matrix d’Andy et Lana Wachowski, sorti en 1999.
La bande dessinée fait sa révolution, au Fonds Hélène et Édouard Leclerc, à Landerneau.