Qui a pu échapper à la vague Mommy, le film de Xavier Dolan, Prix du Jury ex-aequo avec L'Adieu au Langage de Jean-Luc Godard au 67e festival de Cannes ? Le dernier né du réalisateur prodige sera (enfin) dans les salles mercredi. Comme J'ai tué ma mère, le premier film de Xavier Dolan, Mommy raconte l'histoire d'un trio. Dans le Québec de 2015, Diane (Anne Dorval), veuve depuis trois ans et mère de Steve (Antoine-Olivier Pilon), reprend chez elle son ado impulsif et violent pour lui éviter l'internement. Alors qu'ils tentent de cohabiter dans le sombre pavillon de la banlieue de Montréal, le garçon devient rapidement ingérable, jusqu'à l'intervention d'une voisine aussi discrète que fragile, Kyla (Suzanne Clément) qui va se joindre à eux.
Regardez la bande-annonce du film, tourné au format carré :
La "patte" Xavier Dolan, c'est l'émotion. Le réalisateur de Laurence Anyways maîtrise l'art de dévoiler ses personnages de si près, et avec une telle violence, que vous sortez de ses films avec l'impression d'avoir perdu des êtres chers. De retour sous le ciel, on se sent comme sonnés, un brin déchirés à l'idée de quitter le trio incandescent qui porte Mommy. D'abord, il y a la tête blonde et hirsute d'Antoine-Olivier Pilon, la révélation de Mommy en gamin aussi colérique qu'attachant. Ensuite il y a la voisine Kyla, à qui Dolan prête un adorable bégaiement, interprétée avec une remarquable justesse par l'une des actrices fétiches du réalisateur, Suzanne Clément. Enfin, au sommet du triangle, Anne Dorval joue la mère de Steve. Mèches criardes dans les cheveux, mâcheuse de chewing-gum, habillée trop moulant, ou trop court, et jurant comme un chartier, elle est la vibrante "Mommy" du film.
>>> A lire aussi : Xavier Dolan, jeune prodige du cinéma
Chez Dolan, tout est dans le "trop". Certains spectateurs, pudiques, craindront peut-être le déferlement de sentiments à l'écran. Les personnages de Mommy, imparfaits, des rocs pourtant friables, sont complètement excessifs, hyperactifs, désordonnés, mais par là même infiniment vivants. Ils agissent de travers, ils aiment mal, ou en font trop. Dans une scène magnifique, bien qu'embarrassante, Steve s’obstine à chanter sur la scène d'un bar le tube d'Andrea Bocelli Vivo per lei, sous le regard goguenard et les injures de clients avinés. Toute l'insolente beauté de Mommy est justement dans ce "trop". Au-delà du bruit et de la fureur, Xavier Dolan réinvente la famille, à travers ces trois personnages un poil abimés, qui vivent tant bien que mal et se réparent les uns les autres, avec ce qu'ils trouvent autour d'eux.
Regardez cet extrait qui met en scène une scène d'explication entre mère et fils :
"Comprends-tu ça ?" Le film, sous-titré en Français, s'appuie sur des dialogues incroyables. C'est simple, parfois, on ne comprend rien et les sous-titres sont, pour nous, autant de bouées. Cette langue, les Québécois l'appellent le "joual", un dialecte issu de la culture populaire urbaine de la région de Montréal. "On n'est pas dans un Québécois typique, mais dans un patois", explique le réalisateur qui cite l'exemple de Diane, la mère. "Elle est tellement colorée, tellement unique comme femme, intelligente, créative, qu'elle invente des mots", confie Xavier Dolan au micro d' Europe 1. "Elle essaye aussi de faire bonne figure devant son fils, d'éviter les blasphèmes, donc elle transforme les mots".
Mais la langue de Mommy est surtout "musicale" selon le réalisateur de Tom à la ferme, dont on note une nouvelle fois toute l'attention accordée à la bande-son. "Il y a dans ce langage une musique, c'est comme une partition", affirme-t-il. " Et c'est important, je pense, d'avoir une langue aussi créative. Le personnage crève l'écran à travers sa langue, à travers ses mots. Après tout, ce sont des personnages qui revendiquent le droit de parole, donc c'est normal qu'ils aient une parole bien à eux", explique encore le petit génie du cinéma.
Xavier Dolan était l'invité de l'émission Il n’y en a pas deux comme elle, sur Europe 1.