Alex Pilot, Davy Mourier, Ruddy Pomarede , Fabien Fournier, ou encore François Descraques : ces noms ne vous disent peut être rien. Pourtant, ils sont devenus des références dans le milieu de la web-série, ces sitcoms qui cartonnent de plus en plus sur Internet. Une web-série est toujours réalisée à la maison, avec les moyens du bord et sans argent. Leurs auteurs, des passionnés, presque toujours fans de séries américaines, qui n'ont pas trouvé leur compte à la télé, ont décidé de créer leurs propres contenus. Pas de comédiens sous la main? Ils se contentent de leurs "potes". Et pour le décor ? Il se limite souvent à leur chambre. Europe 1 s'est immiscé dans l'univers des geeks aux côtés de l'un d'entre eux, Davy Mourier, co-créateur de deux web-séries à succès (avec Monsieur Poulpe et Didier Richard), "Nerdz" et"Karaté Boy". Ce scénariste, humoriste, auteur de bandes-dessinées et animateur sur la chaîne Nolife est surtout l'un des précurseurs du genre.
Les ingrédients de la web-série réussie. D'abord, c'est un format qui doit être court. "Souvent, les gens qui commencent se lancent dans des épisodes de 45 minutes, et ça, il ne faut pas!", conseille Davy Mourier. Les épisodes ne doivent pas dépasser trois à cinq minutes. Ensuite, il faut adapter son histoire, ses dialogues, à ses possibilités. Sous peine d'être taxé dans le jargon de : "policiers en baskets". Une image pour se moquer de ceux qui ont le costume mais qui n'ont pas eu le budget pour aller jusqu'à la panoplie complète. Davy Mourier a par exemple appliqué ce principe pour la préparation d'une nouvelle web-série qu'il a tournée dans sa grange l'été passé. Il n'avait pas de bon comédien sous la main, seulement un ami qui jouait très mal. Et comme "il ne faut jamais filmer plus haut que son cul", plaisante Davy Mourier, il a décidé de l'intégrer, "mais en prenant le parti de dire qu'il venait d'une planète où les gens jouent très mal." Il faut donc assumer les données de base. Enfin, l'idée, c'est quand même de délivrer un message. La web-série "Nerdz", dont il est co- réalisateur avec Monsieur Poulpe, a beau être très potache, elle n'en réserve pas moins un autre niveau de lecture : "il faut toujours rester ado".
"La liberté totale". Dans l'univers de la web-série donc, mieux vaut être un peu créatif. "Il y a les malins qui arrivent à se servir de la contrainte pour créer. Ils arrivent alors à inventer des choses qu'on ne verrait pas à la télé, justement parce qu'ils sont obligés de réinventer le genre à cause de leur petit budget. "A la base, les gens qui font des web-séries sont persuadés de faire quelque chose de beau! En fait, on fait du mieux possible avec nos moyens", explique Davy Mourier. Pour lui, la web-série, c'est la "liberté totale". Dans cet univers, il y a les web-séries qui ont été crées pour la télévision et qui sont passées sur le web, d'autres qui ont commencé sur Internet pour devenir des séries-télé, et celles qui n'ont jamais quitté Internet.
"France Five" d'Alex Pilot, la première vraie web-série. Avant l'émergence des web-séries en 1999-2000, il existait surtout "des courts-métrages amateurs" explique Davy Mourier, "et tous les gens qui ont lancé la web-série aujourd'hui sont des anciens des films amateurs de la fin des années 90", précise-t-il. "La première web-série identifiable aujourd'hui, c'est celle d'Alex Pilot avec "France Five", une parodie de bio man, mais où les héros doivent protéger… la Tour Eiffel."
C'est la première série créée pour Internet, sans budget, avec beaucoup de décors et qui a fixé un rendez-vous régulier, chaque année" :
L'exemple de "Nerdz". Avec les acteurs "Monsieur Poulpe" et Didier Richard, Davy Mourier a créé "Nerdz", une web-série de 93 épisodes diffusée de 2007 à 2011. "C'est une des premières web-séries françaises qui répond au critère de la régularité", explique son réalisateur, qui est parvenu à créer un rendez-vous. Lancée au départ sur la chaîne Nolife, la série connaît un succès incroyable et est "reprise par Youtube". Les fans la "balancent" sur Internet et les épisodes explosent les scores de l'époque, comptabilisant 50.000 vues. "Aujourd'hui si on ne fait pas le million, on n'est rien, mais à l'époque, c'était énorme", confie Davy Mourier. Dès la seconde saison, ses auteurs décident de mettre la série directement sur Internet. "On s'est rendu compte que le phénomène allait vivre de lui-même sur la toile."
"C'est allé très vite". Dans les premières années, entre 2007 et 2009, on comptait cinq ou six web-séries : "Nerdz" de Davy Mourier et monsieur poulpe, "Noob" de Fabien Fournier, ou encore "Flander's Compagny". Puis, le format a littéralement explosé. D'autres ont emboîté le pas à leurs ainés. Aujourd'hui "Le visiteur du futur", une web-série signée François Descraques, fait partie de cette deuxième génération de créateurs qui sont arrivés avec "un scénario extrêmement travaillé et beaucoup d'humour", explique Davy Mourier. Cette série, dont le premier épisode est apparu le 27 avril 2009 sur Dailymotion, a opéré un tournant, au point que les web-séries qui sont apparues ensuite sont souvent des "clones", raconte Davy Mourier. Le projet a d'ailleurs été repris par France 4. "On ne sait plus aujourd'hui si c'est de la web-série ou de la série TV."
C'est l'histoire de Raph (Raphaël Descraques) qui croise la route d'un homme affirmant venir du futur (Florent Dorin) pour tenter d'empêcher la fin du monde :
Le Visiteur du Futur - 1x01par Studio-4-0Quel travail ça représente ? "Pour "Nerdz", "on ne savait pas ce qu'on faisait", raconte Davy Mourier. "C'est une série qui a été créée à partir de toutes les possibilités et surtout les impossibilités qu'on avait. Elle était destinée à la chaîne Nolife, qui s'adresse surtout aux geeks". Davy Mourier et Monsieur Poulpe décident de placer la caméra dans la télé pour faire un "Caméra café" pour les geeks. "La télé, c'est l'objet que le geek regarde le plus. Là c'est elle qui regarde le geek vivre". Comme l'appartement devait constituer l'unique décor, ils ont imaginé que le geek ne le quittait jamais.
La série raconte donc la vie de DarkAngel64, surnommé tout simplement "Dark", un "nolife" de 24 ans :
Méthode artisanale. Après un pilote réalisé avec une seule caméra et joué "comme au théâtre", les épisodes sont tournés à l'aide de trois caméras pour changer les angles de vue et animer les scènes. Les réalisateurs forment une petite équipe : trois comédiens scénaristes, une comédienne, deux preneurs de son et deux cadreurs. Un épisode dure trois minutes et est tourné dans les temps libres. "On n'avait pas d'argent et on travaillait tous à côté à l'époque". Il leur faut deux ou trois heures de tournage pour un épisode de cinq minutes environ. Pour la première saison, les créateurs de "Nerdz" n'avaient que trois épisodes d'avance sur le public. Ils se sont souvent inspirés des idées suggérées par les fans sur les forums pour orienter le cours de l'histoire.
Forcément geek ? Tout le monde peut faire sa propre web-série, "mais c'est vrai que le phénomène est né chez les geeks", explique Davy Mourier, "parce qu'ils ont plusieurs passions essentielles : ils sont fans de séries mais aussi passionnés d'électronique ou de nouvelles technologies. Aujourd'hui, même avec un iPhone, si le son est bon, on peut faire sa web-série". La conséquence, c'est que parmi les web-séries, on trouve de tout : "des films de bonne facture, et les autres…", sourit Davy Mourier. Mais alors, comment savoir quand c'est réussi ? Pour "Nerdz", un jour, son créateur a rencontré un jeune garçon dans la rue, qui lui a demandé :"Mais… Dark et Caroline (les deux héros de la série, ndlr), ils vont se marier à la fin?" Pour l'identification du moins, le mécanisme marche à plein.
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