Dans "L'hirondelle avant l'orage" (BakerStreet), Robert Littell, ressuscite des grandes figures littéraires russes et nous raconte leur calvaire sous Staline. Comment ceux qui ont refusé de fermer les yeux sur les conséquences dramatiques de sa dictature ont été torturés au point de devenir fou ou tués après avoir été torturés. Un livre bouleversant.
En 1979, Robert Littell fait une rencontre marquante. Journaliste à Newsweek, il interviewe la veuve du grand poète russe, Ossip Mandelstam, disparu sous la dictature stalinienne. Au terme de l'entretien, elle lui chuchote ces mots : "Surtout, ne parlez pas anglais dans les couloirs..."
Une phrase lourde de sous-entendus et de traumatismes passés, voire toujours présents. Des mots qui ont hanté Robert Littell jusqu'à la rédaction de "L'Hirondelle avant l'orage". Dans ce roman, il fait revivre Mandelstam, déjà victime d'ostracisme. Ses écrits ne sont plus jugés conformes à la ligne du parti et ne sont donc plus publiés. Le poète survit dans une extrême pauvreté avec sa femme, grâce à la générosité de certains. Pour autant, il continue à composer des vers que sa femme apprend par coeur car les écrire reviendrait à se condamner. Le couple partage son intimité avec une comédienne peu farouche. Mariée, celle-ci ne rêve que d'une chose : pouvoir divorcer tout en gardant son appartement moscovite. Quand Mandelstam se met en tête de composer un poème pour révéler la véritable nature du despote et qu'il fera de cette femme une gardienne du secret, elle verra le moyen de réaliser ses rêves. Mandelstam sera envoyé une première fois en exil. Le temps qu'on l'oublie et qu'il soit moins compromettant de le liquider.
A travers les récits croisés de plusieurs personnages, Robert Littell raconte la disgrâce du poète téméraire, la politique de terreur appliquée pour étouffer tout libre-arbitre. A travers le destin de Mandelstam, c'est le calvaire de tout un peuple qu'il réanime. On entend bien sûr la voix de Mandelstam, mais aussi celles de sa femme Nadenka, de la poétesse Akhmatova et du poète lyrique Boris Pasternak, les meilleurs amis de Mandelstam, qui mettent notamment en perspective la folie dans laquelle bascule l'auteur persécuté. Pour renforcer l'effet dramatique, on entend aussi la comédienne traîtresse et deux personnages secondaires qui témoignent, Nikolaï Sidorovitch Vlassik, le garde-du-corps personnel de Staline et Fikirit Trofimovitch Shotman, célèbre champion russe d'haltérophilie devenu hercule de cirque. Un brave homme, victime du système. Il se retrouve convaincu de trahison et livré au camarade interrogateur Kristoforovitch parce qu'un autocollant de la tour Eiffel est collé sur sa malle de voyage. Esprit simple, il croit en la justice de Staline et se laissera convaincre qu'il est coupable pour servir la cause. Ni les tortures qu'il subit, ni les horreurs dont il est témoin, ne lui ouvriront réellement les yeux sur ce qui se passe. Il incarne à lui seul la masse manipulée. Lui se laisse faire par conviction. La grande majorité, par la terreur. Et la disgrâce finale du tortionnaire Kristoforovitch bouclera la démonstration de l'absurdité du régime où la vie et la mort relèvent du degré de paranoïa atteint par Staline. Un roman bouleversant et un témoignage édifiant mis en scène par le père du Goncourt 2006, Jonathan Littel.