La vie d'Yves Saint Laurent à l'écran, du déjà vu ? Certes, Jalil Lespert a livré au début de l'année sa vision du personnage, approuvée par l'entourage du couturier, mais la version de Bertrand Bonello apporte une vraie fraîcheur au style biopic. Terminé le déroulé des événements comme autant de cases à remplir pour répondre au label. Ce qui compte pour le réalisateur, c'est de faire passer quelque chose de l'homme, sans le démythifier, mais en se rapprochant "de son affect". Sortir du biopic était même la condition sine qua non pour qu'il s'attaque au mythe. Le résultat est très réussi, un film délicat et sensible sur un génie de la haute couture. Saint Laurent, avec Gaspard Ulliel dans le rôle du grand couturier, Louis Garrel, Jérémie Rénier et Léa Seydou, sera sur les écrans le 24 septembre.
Le parti pris : filmer une décennie. Lorsque des producteurs lui ont proposé le projet, Bertrand Bonello, qui "n'aime pas beaucoup les biopics", a eu carte blanche. "Il n'y avait ni scénario ni traitement, juste le nom de Yves Saint Laurent." Dès le début, le réalisateur tient à s'éloigner du biopic classique. "Je ne voulais pas que le spectateur se contente de regarder Yves Saint Laurent, mais qu'il soit le plus proche possible de lui", explique-t-il.
Le film de Bertrand Bonello se resserre donc sur dix ans de la vie et de la carrière du grand couturier, de 1967 à 1976. Ensuite, c'est le grand saut : on passe à l'année 1989, en quelques allers-retours. Le parti-pris, celui de se concentrer sur une décennie extrêmement dense, sert l'approche du personnage. "J'attaque au cœur du succès mais aussi au cœur de la dépression", confie le réalisateur. Le spectateur a déjà les cartes en main. En cela, le film de Jalil Lespert, sorti en janvier dernier, une version plus officielle, soutenue par le compagnon d'Yves Saint Laurent, Pierre Bergé, a "pris en charge les passages obligés du biopic", explique Bertrand Bonello, qui s'est senti plus libre.
Gaspard Ulliel et Louis Garrel, tandem électrique. Après la prestation de Pierre Niney, qui avait brillamment interprété Yves Saint Laurent dans le film de Jalil Lespert, on avait toutes les raisons de trembler. Mais surprise, Gaspard Ulliel est lui aussi un incroyable Saint Laurent. Le travail sur les gestes, sur la voix si particulière, un peu chevrotante, le regard d'enfant qui transparaît, l'acteur le rend à la fois élégant et fragile. Attachant aussi.
Et quand Louis Garrel entre en scène, dans le rôle de Jacques de Basher, grande passion du couturier, il donne au personnage une nouvelle dimension. Yves Saint Laurent est fasciné par ce jeune homme, beau, théâtral et à l'attitude si nonchalante qu'il semble toujours lui échapper. Les scènes entre eux ont un mélange d'électricité et de douceur. "Il s'est passé quelque chose de beau entre Gaspard et Louis. Il suffisait presque de poser la caméra et de les regarder. Il faut savoir faire dévier le film quand apparaissent des choses spécialement gracieuses", se souvient Bertrand Bonello.
Finesses de fond et de forme. "Le film ne montre pas comment Saint Laurent est devenu Saint Laurent, mais ce qui lui en coûte d'être Saint Laurent", précise le réalisateur. Bertrand Bonello préserve le mythe. Il l'approche néanmoins de très près, nous le rend sensible, en privilégiant "l'aspect romanesque" du personnage. Un peu à l'image du Gainsbourg (Vie héroïque) de Joann Sfar, le Saint Laurent de Bertrand Bonello transmet avant tout la poésie du personnage. C'est toute la réussite du film, qui fait le choix du romanesque et parvient à nous emporter.
Sur la forme, il évite tous les écueils. Comment filmer le surgissement d'une idée ? Le désarroi, la solitude du personnage ? Les choix de Bertrand Bonello sont toujours fins. La notoriété ? Le réalisateur se sert de la lettre (fictive) d'Andy Warhol à Yves Saint Laurent : "Toi et moi nous sommes les deux plus grands artistes d'aujourd'hui", lit tout haut Gaspard Ulliel. "Warhol et Saint Laurent. L'Amérique et l'Europe" Tout est dit. Les images sont belles. On passe à tâtons de l'atelier, où bruissent les tissus et les matières, où éclatent les couleurs, aux appartements feutrés, aux boîtes de nuit. Il y a enfin de petites pépites, comme cette scène où Saint Laurent transforme une cliente (Valeria Bruni Tedeschi), en quelques gestes, devant la glace.