Timbuktu, c'est l'histoire de la ville malienne de Tombouctou tombée sous le joug des fondamentalistes religieux en 2012. Le film d'Abderrahmane Sissako est en lice dans huit catégories aux César mais aussi dans la catégorie "Meilleur film étranger" aux Oscars. En attendant le verdict, le réalisateur était l'invité, lundi, de la matinale d'Europe 1. Il est revenu sur les conditions de tournage de son film et sur le message qu'il a cherché à faire passer.
Filmer le quotidien. Quand on regarde Timbuktu, qui montre le quotidien des habitants, soumis aux lois des fondamentalistes religieux, on a un peu l'impression de découvrir un reportage. Le jeu des acteurs est sobre, les images très belles, mais sans emphase. C'était bien là le projet d'Abderrahmane Sissako, explique le réalisateur à Europe 1. "Pendant l'occupation de cette ville-là, on parlait beaucoup de l'occupation, du djihad et des djihadistes, mais très peu de la vie des gens qui ont subi ça." C'est ce quotidien que l'on perçoit dans le film. Les habitants sont soumis à des règles absurdes : ils n'ont ainsi pas le droit de jouer de la musique ni de jouer au football, les femmes doivent se couvrir la tête et les mains. "Pour moi c'était important (de montrer le quotidien de ces gens) parce que ce sont eux qui souffrent", raconte le réalisateur.
>> A LIRE AUSSI - Timbuktu, le film coup de poing d'Abderrahmane Sissako
"Une régression". Abderrahmane Sissako fait-il le lien entre les djihadistes qui terrorisent la population de Timbuktu, et ceux qui ouvrent le feu à Paris, à Bruxelles ou à Copenhague, au Danemark, où ont eu lieu deux fusillades mortelles ce week-end ? "Il y a un lien évident, absolument", confirme le réalisateur. "Ceux qui sont venus à Tombouctou étaient pour la plupart des Pakistanais", explique-t-il. "Mais il y avait aussi des Yéménites, des Tunisiens... Il n'y a pas une nationalité définie, donc ce n'est pas une guerre d'un Etat qui s'oppose à un autre Etat, c'est une vision du monde", assure Abderrahmane Sissako, qui n'hésite pas à évoquer "une régression du monde".
"Un djihadiste n'est pas un homme si différent des autres". Pour "raconter" les djihadistes, le réalisateur n'a pas éprouvé le besoin de les rencontrer. "D'abord, pour moi, un djihadiste n'est pas un homme si différent des autres", confie-t-il. "Son acte, certainement, est barbare et violent, mais ce sont des gens… C'est toujours terrible de revenir là-dessus mais ce qui est terrifiant c'est que les frères Kouachi, ont dû, peut-être, la veille (de leurs attaques) s’asseoir à une terrasse de café." C'était donc "important" pour le réalisateur "d'humaniser" les fondamentalistes dans le film. "L'acte est monstrueux, mais c'est commis par un être humain", rappelle l'auteur de Timbuktu. "Quand on est enfant, on est fondamentalement bon, on ne naît pas avec des barbes !", sourit Abderrahmane Sissako. "L'art" n'a donc "pas le droit de retirer tout humanité à quelqu'un", martèle le réalisateur, qui l'assure : "de façon générale, il faut croire en l'homme".
Le film se moque aussi des djihadistes, qu'on voit eux-même enfreindre les règles qu'ils imposent aux autres. Pour le réalisateur, ces fondamentalistes religieux "n'ont pas de convictions réelles profondes." L'auteur de Timbuktu "ne crois pas" non plus "à leur foi". Le réalisateur souligne "de l'hypocrisie dans les actions" et résume : "Ceux qui disent 'couvre toi le visage', en même temps, désirent la femme de l'autre, donc il y a une contradiction."
Le film s'est fait "dans l'urgence". Le réalisateur est aussi revenu sur les conditions de préparation du film, qui s'est fait "dans l'urgence", précise-t-il. "J'avais le sentiment qu'il fallait le faire, qu'il fallait le faire vite aussi", dit-il. Timbuktu a été tourné en République islamique de Mauritanie. "Ceux qui prennent en otage la religion font de l'Islam ce qu'il ne devait pas être. L'Etat mauritanien a donc été très important dans ce projet puisqu'il nous a permis, dans ce Sahel encore très dangereux, de tourner, à la frontière malienne." La Mauritanie a d'ailleurs offert la protection de l'armée pour permettre le tournage.
La première résistance à la menace islamiste ? "Ne pas avoir peur", assure le cinéaste. "Parce que la peur est une victoire pour ces gens-là." Abderrahmane Sissako, surtout, le rappelle, encore et encore : "il faut croire en l'homme, coûte que coûte."