Comment s’est passée votre rencontre ? C’est grâce à votre fille Agnès Varda ?
Oui, ma fille s’est demandée : 'Comment ça se fait que ces deux-là ne se connaissent pas ?' En effet, à l’époque je m’intéressais déjà beaucoup aux muralistes, j’avais fait un film il y a très longtemps en 1979 à Los Angeles sur ce sujet. J’aimais beaucoup le fait que JR mette des yeux partout dans les rues, parce que le regard m’intéresse, parce que les objectifs sont des yeux. Je ne pouvais que m’intéresser au travail de JR.
Et vous JR ?
Bien sûr je connaissais le travail d’Agnès. Sa voix aussi, mais pas le personnage. Donc le jour où j’ai reçu un mail pour me demander si je serais intéressé de la rencontrer, j’ai foncé la voir. On s’est rencontré le premier jour, le deuxième on commençait déjà à tourner ! Il y a eu cette envie instantanée de faire quelque chose, sans plan précis et c’est ce qui créé cette liberté dans le film car on ne sait pas nous-mêmes où on va.
Agnès Varda : Il y a quand même un projet d’aller en France, pas dans les grandes villes, et de rencontrer des gens qui ne sont pas écoutés attentivement, d’utiliser la capacité de JR de les agrandir grâce à ce camion magique avec lequel nous sommes partis où les gens rentrent pour faire une photo d’identité toute moche et il en ressort un poster très beau. Cette magie du système de JR m’amusait beaucoup. C’était une aventure qui avait du sens et qui était amusante. Il y a la forme artistique du film mais aussi la forme sociologique. On découvre des personnages et une histoire de France rien qu’en voyant leur visage.
JR : Il y a aussi la même chose dans le visage d’Agnès. C’est pour ça que je me suis intéressé à chacune des petites rides qui l’entourent, jusqu’à ses mains, ses oreilles… et jusqu’à ses doigts de pieds !
AV : Je suis un village à moi toute seule ! L'idée était de voir si on pouvait décrire graphiquement la vieillesse d’une part, et d’autre part monter un certain abandon l’un à l’autre puisque ça s’opposait au fait qu’il garderait ses lunettes noires quoi qu'il arrive, il n'y avait pas d’espoir là-dessus. C’est un peu un jeu a contrario. Je veux bien montrer mes doigts de pieds, qui ressemblent à des gnocchis comme dit JR. On a eu le plaisir d’offrir cette intimité relative à ces gens qui s’étonnaient de nous voir arriver de bonne humeur et jouaient avec nous. Les ouvriers ont joué à poser. On leur disait ce qu’on voulait faire, on les incluait dans le procédé. On avait l’impression que notre imagination, un peu folasse, était acceptée par des gens aux métiers durs, des horaires durs. Ils voyaient qu’on était des artistes mais pas tout à fait des rigolos.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans ce voyage ?
JR : Bien sur tous les endroits, les personnes que l’on a rencontrées, nous ont profondément touchés. Je crois qu’on a été touché aussi par la manière dont on a appris à se connaitre. C’est un peu comme si on s’était lancé du jour au lendemain et qu’on devait quand même se découvrir, savoir si l’autre était sympa. On s’était lancé dans une aventure qui était de co-réaliser le film. Agnès, de son "petit vécu", n’a jamais co-réalisé quoi que ce soit, et moi non plus ! Donc quelque part, si on est là aujourd’hui, c’est qu’on a réussi à aller au bout de ça. On se parle que par avocat interposé maintenant (rires).
AV : Il a réussi à me rendre un peu plus contemporaine. Il m’a convaincue de m’inscrire sur Instagram.
JR : Bon, elle est encore au moment où elle compte les gens. C’est un peu gênant…
AV : Attends ça tourne de 1.000 en 1.000 ! Je suis arrivée à 8.000 à peu près. Tu te rends pas compte en une semaine !
Est-ce que vous avez envie de retravailler ensemble ? On peut imaginer facilement une suite à ce film !
AV : Je vois ce film comme une expérience unique. Ça veut pas dire qu’on va pas continuer ensemble. On va peut-être apprendre à jouer aux boules ensemble ! On a été jusqu’au bout de cette expérience, jusqu’au montage, jusqu’à Matthieu Chédid qui est entré dans cette promenade avec sa musique. Être à Cannes, hors compétition, projeté l’après-midi, représente tout à fait notre projet modeste mais important. On est pas dans le "gling gling".
JR : Le "gling gling" ? Ça doit être le bling bling des années 40. Je continue à filmer Agnès parce qu’elle m’inspire encore. D’ailleurs, la première chose qu’elle a publiée sur Instagram, c’était une petite vidéo d’elle filmée par mes soins. Même sur mon propre Instagram, je continue à la filmer parce que je n’ai pas envie que le film s’arrête…
AV : Je suis une petite marionnette pour lui !