Il y a quelques années, dans l'émission Nouvelle Star, le juré André Manoukian lançait un mémorable "ça sent trop le savon et pas assez la foufoune". Ce sens inné de la formule, le musicien le cultive aussi bien en tant que chroniqueur radio que dans ses livres. Il n'en oublie pas pour autant la musique, en donnant une soixantaine de concerts par an, en tant que pianiste.
Alors que son dernier disque, Apatride, est sorti en 2017 et qu'il est aussi en tournée avec la chanteuse Elodie Frégé, l'artiste s'est confiée samedi à Isabelle Morizet, dans Il n'y pas qu'une vie dans la vie.
La métaphore. C'est de sa grand-mère arménienne, déportée et plusieurs fois sauvée par des paroles appropriées, qu'André Manoukian pense (peut-être) avoir hérité le son percutant du bon mot. Mais cet exercice, il explique aussi l'avoir vraiment travaillé pour le télé-crochet de M6. "Tout d’un coup, vous avez un gamin devant vous, qui vient de se mettre pire que nu, qui vous regarde avec des grands yeux et vous devez lui expliquer pourquoi oui, pourquoi non. Vous lui devez ça", se souvient-il. Sauf que "l’émotion musicale ne passe pas par la tête", ajoute-t-il. "Parfois, on restait sans mots. C’est pour ça que j’employais aussi la métaphore."
Faux départ. C'est d'ailleurs Nouvelle Star qui a fait connaître André Manoukian du grand public. Sa carrière aurait pourtant pu connaître une mise en avant plus précoce. A tout juste 21 ans, avec le groupe qu'il avait formé autour d'une amie chanteuse, il avait eu sa chance. A l'époque, il rentrait de Boston où il avait étudié à la Berkeley School of music, après des passages éclairs en médecine pour "faire plaisir" à son père et en fac de musicologie. Au retour des Etats-Unis, un ami lui conseille d'envoyer la démo du groupe. Il s’exécute. Les radios aiment, diffusent, tout fonctionne. Mais André Manoukian avait oublié un détail...mettre ses coordonnées sur l'enveloppe.
C'est sur les ondes qu'il entend que l'on cherche avidement qui est la chanteuse. Il appelle et le groupe se voit proposer un rêve : faire tous les festivals d'été. "C’est la première partie de l’histoire qui sonne bien", raconte André Manoukian. La suite est moins "paillettes" : la chanteuse a refusé de partir sans son amoureux d'alors, chanteur également, mais qui n'avait pas son talent. "J’ai été abattu une heure et je me suis mis à chercher une autre chanteuse", explique le musicien.
Envoûté par la voix. Les voix féminines n'ont depuis jamais cessé de l'inspirer. "Je dis que je suis en cure de désintoxication vocale parce que j’en ai marre de tomber amoureux des chanteuses", dit celui qui a longtemps formé un couple avec Liane Foly. "C’est quand j'entends un timbre que j’ai envie de faire des chansons. J’étais fasciné par cet envoûtement que provoque en moi la voix, la voix grave. Il y a une charge érotique dans la voix. J’en ai été la première victime mais c’est formidable quand on est musicien, parce qu’on peut traduire ce trouble en musique."
Intelligence artificielle. Et pour partager ce frisson, il a crée le festival Cosmojazz à Chamonix, où il vit en famille. Il s'est aussi lancé dans une start-up nouvellement baptisée Muzeek, qui permet de composer et d'adapter de la musique à des images. "On se sert de l’intelligence artificielle pour augmenter les compositeurs", explique le musicien, lui-même compositeur.
Mais, il le souligne, l'intelligence artificielle n'est pas à l'origine du processus : la matrice de la composition vient de l'humain, l’algorithme permet néanmoins de décliner cette matrice en des dizaines de variations. "On vient d'aboutir notre projet, on ne va pas piquer le boulot des musiciens. (...) Une mélodie pissée par des robots, c’est indigent. L'émotion musicale ne pourra jamais se faire analyser, aucun robot au monde ne pourra reproduire ça", assure André Manoukian, pas vraiment prêt à lancer des métaphores voluptueuses à des robots.