"J'ai réalisé cette chose à laquelle tout le monde rêve, qui consiste un peu à s'absenter de sa vie, à disparaître des écrans radars". Telle est la genèse du livre Le chemin des estives, lauréat du deuxième prix littéraire Europe 1/GMF, et signé Charles Wright. A l’été 2019, l’écrivain, alors dans le monde de l’édition, a tout plaqué pour entrer chez les jésuites. Parmi les passages obligés, le noviciat, qui consiste à marcher pendant un mois sans un sou en poche. C’est cette expérience de vie qui a inspiré à l’auteur ce récit de voyage littéraire. Il s'est raconté vendredi matin sur Europe 1.
Le cadre du livre, c’est le Massif central. "Pour assouvir ses désirs de dépaysement, de ressourcement, il n'est pas besoin d'aller très loin, il n'est pas besoin d'aller en Alaska, en Sibérie. Il y a la bigarrure formidable de la géographie française", assure Charles Wright. "J'avais soif d'espace, j’avais soif de vacuité. Et il y a, au centre de notre géographie, un paradis. On vit dans une époque où les zones de repli deviennent rares. Et le Massif central, c'est peut-être une de nos dernières enclaves de beauté. D'intériorité aussi."
"Les Français manifestent des trésors d'hospitalité, de générosité"
Voilà pour le cadre. Les personnages, ce sont tous ces gens ordinaires que l’auteur rencontre au fil de ses pérégrinations. "Quand on part sans rien et que l'on dépend des autres pour tout ce qui est vital pour manger, pour dormir... mon livre, c’est une galerie de rencontres avec ce que les géographes appellent 'les gens ordinaires', les petits paysans, les petits fonctionnaires, les artisans, les gens qui ne passent pas souvent dans les médias", revendique l’écrivain. "Et moi, c'est une expérience qui m'a vraiment réconcilié avec l'humanité. Parce que quand on frappe à la porte des gens comme ça, on a les mains vides et on réveille chez eux ce qu'il y a de plus beau et plus grand, c'est-à-dire la noblesse de cœur, la générosité, l'acte de donner."
Et Charles Wright peut en témoigner, les Français restent de nature hospitalière et généreuse. "On est un peuple qui aime bien s'auto-dénigrer", regrette l’auteur. "Quand on fait un voyage comme ça, on se souvient que la France est un pays extraordinaire et que les Français manifestent des trésors d'hospitalité, de générosité. La bonté dont j'ai été l'objet pendant ce mois, ça m'a souvent vraiment ému aux larmes."
"Tous les soirs, cette même peur"
Pour autant, tout n’a pas été facile. Dépendre des autres quand on a quitté une vie confortable, notamment. "C'est très humiliant. Jusqu'à la fin, ça sera difficile de demander sa nourriture", confirme Charles Wright. "Et puis, au fil des jours, on se perfectionne un peu. Il y a tout un apprentissage de la maraude, de la mendicité entre guillemets. Mais jusqu'à la fin, ce sera difficile. Et tous les soirs, il y a cette même peur. La peur, c'est un tyran. Est-ce qu'on trouvera à manger ? Est-ce qu'on trouvera à boire ? Ces questions qu’on continue de se poser malgré le fait qu'on fait l'expérience, que tout nous arrive au moment opportun."
Et forcément, quand on dépend des autres, on n’a plus le luxe de choisir. "On a faim toute la journée, surtout quand on marche entre 25 et 30 kilomètres par jour. Et ce qui est le plus dur, c'est de faire cette expérience, d'apprendre à se contenter de ce qu'on reçoit", confirme Charles Wright. "Parfois, c'était beaucoup. On a quand même réussi à avoir du foie gras et du champagne, à se faire inviter dans des banquettes Empire chez la sous-préfète de Saint-Flour. Il y a des bonnes surprises, mais le plus souvent, c'était quand même pas terrible", sourit l’écrivain.
"La joie, ça vient toujours de autres"
Reste cette expérience rare et cette philosophie, que Charles Wright développe. "On vit dans une époque qui nous pousse à consommer, à accumuler des objets. Et nous, on a fait pendant un mois l'expérience inverse, celle d'un dépouillement radical, d'une sobriété. J'ai fait l'expérience qu'on peut vivre très, très, très, très joyeusement et très, très intensément, avec peu de choses. Que les biens nous ligotent, nous encombrent et qu'il y a, je crois, au fond du dépouillement, une joie qui est imprenable".
Et l’auteur de conclure : "La joie, c'est quelque chose qu'on ne peut pas se donner à soi-même. Ça vient toujours des autres, ça vient des paysages, ça vient des rencontres, ça vient des visages."