Jeff Nichols, Nicolas Winding Refn, Jim Jarmusch, Xavier Dolan, Ken Loach ou encore Pedro Almodovar : 21 réalisateurs sont en lice à Cannes cette année avec l’espoir de décrocher le Graal du cinéma, la Palme d’or. Mais au-delà du prestige, que change le fait d’être lauréat ?
Le Festival de Cannes étant le plus médiatisé au monde, décrocher la Palme d’Or a évidemment un impact non négligeable. Outre la reconnaissance du milieu, c’est l’assurance de bénéficier d’une campagne de publicité mondiale (et gratuite) que la plupart de ces films d’auteur n’auraient jamais pu s’offrir.
La Palme permet à un film d’être diffusé dans un plus grand nombre de salles et de pays. C’est ce qui est arrivé au film Entre les murs, primé en 2008 : "Une semaine avant la palme, Entre les murs était vendu à une trentaine de pays", a expliqué son producteur Simon Arnal à Rue 89. Sept jours plus tard, le film passait de 200 à 368 copies en France et était acheté dans 55 pays. Un "effet multiplicateur" dont a également bénéficié Jim Jarmush avec le film Paris, Texas, récompensé en 1984 : cette Palme "a tout changé. Il a été distribué partout. Il y avait 4000 copies en Russie ! En Allemagne, j'en avais 10 fois plus que d'habitude", racontait le réalisateur en 2014 au magazine GQ.
Outre cette plus grande visibilité, une Palme d’Or a aussi un impact financier : les contrats de vente des films incluent très souvent une clause, baptisée "Bumper", qui prévoit que le tarif augmente si le film figure au palmarès du Festival. Un film primé se vend donc plus cher mais ce n’est pas la seule conséquence: le réalisateur récompensé aura beaucoup moins de mal à financer ses prochains projets, tandis que les acteurs peuvent espérer des cachets plus élevés.
La promesse d’un plus grand succès. Logiquement, décrocher une Palme d’or permet donc d’attirer un public plus nombreux. "Cette distinction peut multiplier par dix, voire par cent le nombre de spectateurs", assurait en 2010 Jean-Michel Frodon, professeur à Sciences Po et ancien directeur des Cahiers du cinéma.
Les films sélectionnés à Cannes sortant simultanément ou a posteriori, il est impossible de comparer l’avant et l’après Cannes et donc de quantifier cet effet démultiplicateur. En revanche, il est avéré qu’une Palme d’Or réalise plus d’entrées que la moyenne des films : Depuis 2000, le film lauréat réalise en moyenne 912.000 entrées. A titre de comparaison, en 2015 un film français enregistrait en moyenne 225.000 entrées selon le CNC. A l'échelle d'une carrière, on observe également un effet Palme d'or pour les films primé :
L’effet Cannes se confirme également à l’étranger. Ainsi, Entre les murs, un film pourtant très centré sur les débats de société franco-français, a séduit 2,4 millions de cinéphiles dans le monde, contre 1,6 million en France, selon les chiffres d’UniFrance. Même constant pour La vie d’Adèle, qui a séduit 1,8 millions de spectateurs à l’étranger, contre 1 million en France.
Mais l'afflux en salles n’est pas assuré pour autant. Si décrocher la Palme d’or dope les ventes, cela ne permet pas pour autant de survoler le classement des entrées en salle, les films récompensés étant souvent exigeants, aux antipodes des grosses productions taillées sur mesure pour séduire le plus grand nombre. Au cours des dix dernières années, un seul film primé a réussi à figurer parmi les 50 films les plus vus en salles en France : Entre les murs. Même La Vie D’adèle, qui a pourtant réussi à attirer plus d’un million de cinéphiles, n’est arrivé que 52e du box office l’année de sa sortie.
Il est même fréquent que le lauréat soit dépassé par d’autres films de la sélection officielle : ce fut notamment le cas ces deux dernières années. Ainsi, si Winter Sleep fut primé en 2014, cinq autres films de la sélection ont réalisé davantage d’entrées en salle en France. Idem en 2015, où Dheepanfut dépassé par deux autres films de la sélection officielle (La loi du marché et Mon roi).
Décrocher le Graal du cinéma n’apporte donc pas la garantie d’un grand succès en salles, comme peut en attester le film thaïlandais Oncle Boonmee et ses 128.000 entrées en 2010. Mais tout est une question de point de vue : sans ce sacre cannois, ce film contemplatif aurait probablement réalisé un score encore moins élevé.