Chaque année, c'est le même rituel. Après quinze jours de compétition, les membres du jury du Festival de Cannes délibèrent pour attribuer la Palme d'or, les prix d'interprétation ou encore le prix du scénario. Patrice Leconte était juré en 2006, année du sacre de Ken Loach pour Le Vent se Lève. Le réalisateur raconte ces dernières heures décisives.
Portables confisqués. "C'est tout un dispositif", annonce le réalisateur français. La journée de délibération suit en effet un protocole très précis. "Une limousine vient nous chercher le dimanche matin et emmène l'ensemble du jury dans une villa, sur les hauteurs de Cannes. On nous demande d'emmener notre trousse de toilette et notre smoking, car à partir du moment où l'on rentre dans la limousine, nous n'aurons plus de contact avec l'extérieur jusqu'à la fin de la cérémonie de clôture", raconte Patrice Leconte. Chaque membre du jury doit également donner son portable, "pour ne prévenir personne". Une fois le jury bien installé dans la somptueuse villa, les débats peuvent commencer.
Thierry Frémaux organise le rapatriement des primés. Ils sont onze personnalités à occuper la villa : les neufs membres du jury, ainsi que le délégué général du Festival, Thierry Frémaux, et le président de l'événement, Gilles Jacob à l'époque. Les deux membres de "l'administration cannoise" ne donnent pas leur avis. Ils sont là pour préciser des points de règlement ou, tout simplement, profiter des débats. "Je peux le certifier, ils n'interviennent absolument pas pour nous influencer ou nous orienter. En 2006, c'est allé très vite car nous savions qu'on aimait tous le Ken Loach. Une fois la Palme d'or établie, on a discuté des autres prix", se rappelle le réalisateur français.
Le palmarès dressé, le jury peut profiter du cadre de la villa pendant que Thierry Frémaux s'agite. "Il organise le rapatriement des équipes des films primés. Thierry Frémaux ne leur communique pas le prix reçu, mais seulement qu'ils doivent revenir à Cannes. Tous ceux qu'on rappelle, sauf rare exception, figurent au palmarès", confie Patrice Leconte. "Ensuite, on se prépare et on part pour le Palais des Festivals. Là, il y a une répétition pour finaliser les derniers réglages, avant la vraie cérémonie de clôture."
Le visage d'Almodóvar et de Ken Loach. "Lorsqu'on est juré pendant la cérémonie, on est face au public. On voit donc les équipes du film qui savent, comme elles sont présentes, qu'elles ont un prix. Et les visages se modifient au fur et à mesure de l'avancée de la cérémonie", dépeint Patrice Leconte. "En 2006, deux visages m'ont particulièrement marqué. Pedro Almodóvar d'abord (présent avec Volver, ndlr). Comme le film venait de recevoir le prix du scénario et le prix d'interprétation féminine, j'ai vu sa mine s'allonger du genre : 'je n'aurai donc pas la Palme d'or'. A l'inverse, Ken Loach voyait le palmarès s'égrener et Le vent se lève n'était toujours pas sorti. Son visage rosissait au fur et à mesure, car il comprenait qu'il allait avoir la Palme d'or."
Une journée pour décider du destin d'un film, après une compétition passée à 100 à l'heure. Le réalisateur garde un très bon souvenir de son expérience de juré. De cette "bulle assez particulière", qui se forme pour onze jours.