Jean d’Ormesson, les cinq vies d’un Immortel

Jean d'Ormesson est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages. © M DE LECOTAIS / AFP
  • Copié
Romain David , modifié à

L’académicien Jean d’Ormesson est mort à 92 ans. Auteur d’une quarantaine de livres, il a également dirigé Le Figaro dont il est resté l’une des figures de proue.

Son teint halé et son regard d’éternel jeune homme, son verbe fin et son timbre légèrement voilé étaient bien connus des Français. Le plus célèbre des académiciens français est mort dans la nuit de lundi à mardi, frappé par une crise cardiaque. Écrivain, journaliste, polémiste et même acteur, Jean d’Ormesson a traversé son époque en hédoniste, amoureux des belles lettres à l’inébranlable optimisme. À l’occasion de sa disparition, Europe 1 balaye les grands chapitres d’un parcours aux multiples facettes.

L’écrivain du bonheur

Jean d’Ormesson publie son premier roman, L’Amour est un plaisir, en 1956, à 31 ans. Vendu à seulement 2.000 exemplaires, ce livre avait pourtant enthousiasmé l'éditeur René Julliard, qui salue alors "un frère de Sagan". Le succès arrive cinq ans plus tard avec La Gloire de l’Empire, chronique d’un règne imaginaire, celui de l’empereur Alexis, et salué par le grand prix du roman de l’Académie française. Jean d’Ormesson est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages - parmi lesquels Au plaisir de Dieu, adapté en série télé -, souvent de dimension autobiographique, riches de réflexions sur le temps qui passe où l’enthousiasme et la joie de vivre l’emportent généralement sur la mélancolie. "Je crois que si je passe pour l’écrivain du bonheur, c’est parce que je pense qu’il faut être heureux en dépit de tout le reste", expliquait-il en 2015 au Figaro Magazine. Je dirais malgré tout que cette vie fut belle, est le titre de l’un de ses derniers romans. En 2015, il entre, de son vivant, dans la prestigieuse collection la Pléiade éditée par Gallimard. Un honneur qui n’a été réservé qu’à quelques happy few avant lui, comme Eugène Ionesco, André Malraux, Milan Kundera ou encore André Gide.

En dépit de sa prolifique carrière littéraire et des honneurs, Jean d’Ormesson s’est souvent plaint de ne pas avoir écrit son grand roman, un opus qui lui eut assuré la postérité indépendamment du reste de son œuvre. "Si on m'avait dit : ‘Tu écriras La Divine Comédie ou Gargantua mais tu seras mort à 35 ans, eh bien ! ce pacte-là, non pas avec le diable mais avec Dieu, je l'aurais signé tout de suite’", avait-il confié à son biographe Arnaud Ramsay.

L'Immortel qui bouscule la tradition 

Jean d’Ormesson fait son entrée à l’Académie française le 18 octobre 1973, à seulement 48 ans. Élu au premier tour de scrutin face au romancier Paul Guth, il s’assoie au fauteuil 12, à la suite de Jules Romains. Homme de médias, courant les plateaux de télévision et les studios radio où il n’est jamais à court de bons mots, Jean d’Ormesson devient pour de nombreux français le visage de l’Académie.

L’Immortel contribue aussi à faire souffler un vent de modernité sur cette institution tricentenaire, pesant de toute son influence pour y faire entrer Marguerite Yourcenar, première femme admise sous la coupole en 1980. "Rien dans le règlement n'interdisait l'élection d'une femme mais il y avait quelque chose de plus fort que le règlement : la tradition", expliquait-il en 2010 à la webradio Canal Académie. Et la bataille fut rude : "J’avais l'impression de forcer la main de mes confrères. Je me retrouvais malgré moi au cœur d'une histoire rocambolesque. On m'avait même accusé de faire ma propre publicité. J'ai fini par quitter la salle."

L'homme de presse, figure emblématique du Figaro

Déjà rédacteur en chef de la revue de sciences humaines Diogène, Jean d’Ormesson est nommé directeur général du Figaro, le plus vieux quotidien de France, en 1974. Un poste qui en fait une figure intellectuelle de la droite conservatrice. En 1975, ses positions sur la guerre du Viêt-Nam lui valent notamment d’être épinglé par Jean Ferrat dans sa chanson Un air de liberté : "Ah monsieur d'Ormesson/ vous osez déclarer/ Qu'un air de liberté/ Flottait sur Saïgon/ Avant que cette ville s'appelle Ville Ho-Chi-Minh". Jean d’Ormesson, au nom de la diffamation, obtiendra que cette chanson soit coupée d’une émission de Jacques Chancel consacrée au chanteur.

Jean d’Ormesson quitte son poste en 1977, mais sa collaboration avec le quotidien ne s’arrête pas pour autant. Il tient une chronique dans le Figaro Magazine, et ses interventions dans les rubriques "débat" du quotidien restent fréquentes.

L'homme d’engagement

Jean d’Ormesson, qui a commencé sa carrière comme secrétaire général de l’Unesco, a toujours eu un pied dans la politique. Dans les années 1960, il est notamment conseiller auprès de Maurice Herzog, alors secrétaire d’Etat à la Jeunesse et aux Sports de Charles de Gaulle.

Se définissant lui-même comme un "gaulliste avéré, mais gaulliste européen" avec "beaucoup d’idée de gauche", Jean d’Ormesson, qui se rêve en Victor Hugo face à Napoléon III, devient au début des années 1980 l’un des opposants les plus farouches de François Mitterrand. En mai 1981, alors que la Cinquième République accueille son premier président socialiste, l’écrivain signe une violente tribune contre le locataire de l’Elysée : "Je convoque le président de la République au tribunal de l’Histoire". Réponse de l’intéressé : "Quel dommage qu'un si bon écrivain soit si stupide politiquement". Les deux hommes auront finalement l’occasion de s’opposer publiquement lors d’un débat télévisé sur le référendum de Maastricht. "J'ai eu plus tard des liens étroits avec Mitterrand qui est devenu, si j'ose le dire, un ami. Nous étions adversaires politiques mais j'avais beaucoup d'affection pour lui. Il était merveilleusement intelligent", a avoué Jean d’Ormesson sur France Info en 2014.

L’académicien, qui a soutenu Nicolas Sarkozy en 2012, n’a pas manqué non plus d’étriller la présidence de François Hollande, un homme qui, selon lui, "se regarde sans cesse faire. Et qu’est-ce qu’il fait ? Pas grand-chose". Pour la présidentielle 2017, il se prononce pour le candidat Les Républicains François Fillon, et apporte finalement son bulletin à Emmanuel Macron au second tour.

L'acteur qui s'amuse

Au début des années 2000, l’homme de lettre réalise une étonnante incursion dans le Septième art. Il apparaît d’abord brièvement dans Éloge de l'amour de Jean-Luc Godard, en 2001.

Puis, en 2012, il incarne au côté de Catherine Frot un président de la République fin gourmet, et qui n’est pas sans rappeler François Mitterrand, dans Les Saveurs du palais de Christian Vincent. "C'était quelqu'un de drôle, de gourmand. Jouer était pour lui un jeu d'enfant. C'était formidable, un souvenir étonnant", se rappelle la comédienne au micro d'Europe 1. Le 26 novembre, le Journal du Dimanche révélait qu’il était encore attendu comme tête d’affiche du premier film réalisé par Laurent Delahousse.