"Tout est travaillé à l'extrême, les accords insensés, les arrangements dérangés, les guitares liquéfiées, la basse menaçante, le saxo en rut, la voix qui est épargnée par les ans se fait un chemin au-dessus de la furie." Cette description de l'album Blackstar, qui prend une dimension nostalgique à l'annonce de la mort de David Bowie, est celle du journaliste Jérôme Soligny, auteur de nombreux ouvrages sur la star. Comme une étrange coïncidence, pas plus tard que dimanche, il était au micro de Julia Martin dans La Playlist Europe 1, pour répondre à cette question : le dernier album de la légende, sorti vendredi dernier, est-il à la hauteur ?
Puiser dans sa propre mythologie. Réponse incontestable pour le spécialiste : "Oui, c'est du grand David Bowie. Ils nous a tous tuméfiés par la teneur du disque. Beaucoup d'artistes jeunes rêveraient de le faire et lui, à l'approche des 70 balais, il sort ça comme ça. C'est de la teneur de ses plus grands opus. On pense à Station to station, qui comprenait seulement six morceaux (N.D.L.R. : Blackstar, sorti dans les bacs vendredi, en comporte sept pour une durée totale de 45 minutes), on pense à Low pour le côté expérimental, à Scary Monsters, un album très élaboré produit par Tony Visconti, son producteur historique. Cette fois encore, il a exploré des domaines. Il y a au niveau du son, une envie d'aller vers une sorte de post-jazz." Jérôme Soligny confie aussi que les chansons de ce dernier album ont souvent été enregistrées en une prise, talent à l'appui. "Il pompe aussi dans son passé. Il peut se permettre de piller sa propre mythologie." Et s'il fallait un petit point négatif, l'opus est-il trop pointu ? "Pas nécessairement" pour le journaliste, qui reconnaît néanmoins que la chanson Blackstar qui dure neuf minutes, ne rentre pas dans les schémas classiques et formatés.
100 millions. Durant sa carrière de quarante ans, le nombre d'albums vendus par David Bowie, une centaine de millions, n'est finalement pas immense. "Les albums aujourd'hui considérés mythiques ne se sont pas vendus tant que ça, en leur temps." Certains titres ont pu déstabiliser. "C'est quelqu'un qui suit son instinct", résume le spécialiste de l'artiste qui préfère employer les termes de "grandes chansons" plutôt que "tubes".
Rare mais partout. La figure de Bowie est néanmoins mythique. Rare, il n'avait presque donné aucune interview depuis 2003. Son image était pourtant partout : "dans un générique de série, dans le disque d'Arcade Fire, dans une comédie musicale à guichet fermé à New York", rappelle Julia Martin... Rare mais étrange aussi... Bowie racontait qu'il avait observé des ovnis. "Il a ce côté un peu martien de passage sur Terre, commente le journaliste. Mais on sent qu'il va rentrer un jour chez lui. Moi je vous donne mon billet qu'il va rentrer en Angleterre, parce que la vie new-yorkaise c'est quelque-chose, mais s'il y a un message à comprendre, notamment dans Lazarus, c'est peut-être que lui aussi, il va rentrer." Il n'en aura pas eu le temps.
Premières paroles de Lazarus, extrait de son nouvel album :
Look up here, I’m in heaven
I’ve got scars that can’t be seen
I’ve got drama, can’t be stolen
Everybody knows me now