"Il faut beaucoup réfléchir, il faut parvenir à s'occuper autrement que par la vacuité", pose Eric Dupond-Moretti (photo d'archives). 6:43
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Chaque semaine pendant le confinement, Frédéric Taddeï interroge des invités non plus "En Balade", mais par téléphone, pour leur demander comment ils vivent cette période si particulière. Seul chez lui, l'avocat Eric Dupond-Moretti s'interroge sur les traces que laisseront ces mesures d'urgence une fois la crise sanitaire passée. 
INTERVIEW

Eric Dupond-Moretti se porte "bien", mais estime qu'en ces temps troublés, la notion est "relative". "Le hasard de la vie" a fait qu'il était seul chez lui lorsque le confinement, désormais imposé aux Français depuis plus de trois semaines, est entré en vigueur. Alors, l'avocat pénaliste, qui vit cette période isolé, consent à recourir aux outils numériques dont il n'est pas friand pour communiquer avec ses proches. Mais surtout, il s'interroge sur l'après : quel impact cette période aura-t-elle sur nos libertés ? 

 

>> Pendant le confinement destiné à ralentir la propagation de l'épidémie de coronavirus, Frédéric Taddeï réinvente En Balade avec et interroge, à distance, des personnalités sur la manière dont ils et elles vivent cette période. Retrouvez toutes ses émissions en podcast et en replay ici 

Le confinement, une "exigence et une nécessité"

Lorsqu'on est avocat, pense-t-on à ses clients assignés à résidence ou emprisonnés, au moment où l'on doit, à son tour, rester chez soi ? "Le parallèle mérite d'être fait", estime d'abord Eric Dupond-Moretti. "On est tous des Patrick Balkany (contraint de ne pas quitter son domicile depuis sa sortie de prison, début février, ndlr), mais ce n'est pas tout à fait pour les mêmes raisons qu'on est confinés", ironise-t-il. Et puis, plus sérieusement, s'agissant des mesures prises face à la crise sanitaire : "Je crois que c'est une exigence et une nécessité." 

Pour l'avocat pénaliste, cette période de privation de liberté est "difficile". Mais "en même temps, il faut tirer le meilleur de cette situation", juge-t-il. "Le meilleur de cette situation, c'est qu'on est contraint à l'introspection. Évidement, c'est parfois douloureux. (...) Il faut beaucoup réfléchir, il faut parvenir à s'occuper autrement que par la vacuité."

"La liberté, c'est comme le bonheur"

Et une réflexion occupe particulièrement l'esprit du ténor du barreau. "Comment-va-t-on sortir de cette période ? (...) Comment va-t-on appréhender, les uns et les autres, cette privation de liberté qui est aujourd'hui une contrainte indispensable ? Est-ce qu'on va accepter de perdre encore plus de notre liberté - parce que je pense que le processus est ancien-, ou est-ce qu'on va redécouvrir ce qu'est la privation de liberté, et donc la liberté ?", interroge Eric Dupond-Moretti. 

 

"Il y a des mesures de contrôle, il y a je ne sais combien de procès-verbaux dressés, il y a une vigilance de tous les instants", énumère l'avocat. "Ce n'est pas tout à fait la méthode chinoise, et on ne peut que s'en féliciter. (...) Mais peu importe : la privation de liberté, ce n'est pas le tout ou rien, c'est une petite acceptation sans qu'on y prenne garde, justement. La liberté, c'est comme le bonheur, pour paraphraser le poète : c'est quand ça disparaît complètement qu'on en mesure la nécessité vitale pour nous."

"Un phénomène que l'on connaissait avant le coronavirus"

Eric Dupond-Moretti cite aussi Benjamin Franklin, "qui dit qu'un peuple prêt à abandonner un peu de sa liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l'une ni l'autre, et finit par perdre les deux". "C'est un phénomène que l'on connaissait avant le coronavirus", appuie celui qui fut l'avocat du frère de Mohamed Merah. "Le terrorisme, par exemple, a conduit les gens à accepter un recul de nos libertés." 

 

En attendant de voir ce que donnera l'après-confinement sur ce plan-là, le pénaliste a (un peu) cédé sur un autre front : celui de... son aversion pour les nouvelles technologies, en installant l'application zoom. "Avec des copains hier, on a fait un club du single malt", raconte-t-il en riant. "On s'est retrouvés les uns et les autres sur le même écran, avec chacun une bouteille de whisky, et on a bu un coup à notre confinement. Et naturellement, à notre santé."