Trois ans ont passé depuis Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier et le Prix Nobel de littérature. Patrick Modiano fait son grand retour cet automne, avec deux œuvres. Une pièce de théâtre - Nos débuts dans la vie - et un roman - Souvenirs dormants, publiés le 26 octobre. Deux nouvelles pierres dans son édifice de la mémoire.
Fantômes. En 2014, l'institution du Nobel saluait "l'art de la mémoire" de l'écrivain français. Depuis Place de l'étoile (1968), Patrick Modiano semble en effet s'être habitué à la présence des fantômes, faisant des résurgences du passé le principal moteur de sa littérature. Dans Souvenirs dormants, plus encore que dans la pièce qui s'en fait l'écho, les personnages surgissent avant de disparaître un peu plus loin. "Ils remontent à la surface, comme des noyés, au détour d'une rue", préfère utiliser le narrateur et personnage principal, Jean, 20 ans. Il y en a d'ailleurs trois - de ces noyés - que le lecteur de Patrick Modiano a déjà croisés. Geneviève Dalame (Accident nocturne, 2003), Mireille Ourousov (Un pedigree, 2005) et Madeleine Perreau, sous un autre nom (Des inconnues, 1999).
Au milieu de ce balais des ombres, Paris bien sûr. Le théâtre unique de l'action de Souvenirs dormants, dans lequel le personnage principal de Jean erre autant que les personnages qu'il croise. Tout ce petit monde semble se donner la main, l'un amenant à l'autre, par l'entremise de certains. Le livre raconte surtout les lointains souvenirs que le narrateur a gardés des femmes qu'il a côtoyées dans les années 1960. Des souvenirs teintés d'une mélancolie, due à tous ceux à qui Jean n'a jamais parlé mais qu'il a pourtant croisés. Ces routes du destin que l'on ne prend pas, comme dans toute l'oeuvre de l'écrivain, Souvenirs dormants en est rempli.
Le roman peut donc aussi se lire comme une cartographie des vies d'à côté, avec ses repères bien réels. L'hôtel de la rue Monge, la station Censier-Daubenton, la rue Geoffroy Saint Hilare, le Jardin des Plantes. La mémoire des êtres est aussi celle des lieux chez Patrick Modiano.
Jean bis. Dans Nos débuts dans la vie, c'est aussi Jean, 20 ans, que l'on rencontre. "Le même personnage", souligne l'écrivain dans un entretien aux Inrockuptibles. Jean travaille sur son premier manuscrit (menotté à sa main) et se lie de passion pour Dominique, une jeune fille qui répète pour jouer la pièce La mouette, d'Anton Tchekhov. Plus resserrée, plus directe aussi, la pièce de théâtre soulève également son lot de tourments du passé. Suite à Souvenirs dormants, complément ou seulement introduction, Nos débuts dans la vie est avant tout une nouvelle manière de reconvoquer le monde d'hier et d’inviter, une nouvelle fois, les fantômes d'une vie.