Nos Vacances de Blexbolex (Albin Michel Jeunesse), la pépite d’or du Salon du livre jeunesse de Montreuil (du 29 novembre au 4 décembre), est peut-être l’illustration parfaite de ce retour très prononcé au rêve. Le lauréat 2017 – l’histoire d’une petite fille, en vacances chez son grand-père, qui ne voit pas d’un très bon œil l’arrivée d’un éléphanteau – ne s’appuie sur aucun texte. Les lecteurs doivent imaginer eux-mêmes les sons et dialogues en tournant les pages de ce très beau conte. Un livre révélateur d’une tendance ? L’imaginaire serait-il encore plus développé qu’avant dans la littérature jeunesse ?
"Des respirations utiles dans le monde actuel"
"Cette année, on a vu revenir des textes plutôt du côté du rêve, du côté onirique", assure d’emblée la directrice du Salon du livre jeunesse Sylvie Vassallo. "Les jeunes et les enfants ont besoin de l’écriture du réel, qui existe toujours, mais ils ont aussi besoin de rêver, d’imaginer, de s’échapper. Dans ces voyages, ils retrouvent des respirations qui sont bien utiles dans le monde d’aujourd’hui".
S’évader grâce aux textes et illustrations, rien de vraiment nouveau dans le livre jeunesse. Mais "la tendance s’est accélérée ces dernières années", abonde François Martin, éditeur chez Actes Sud Junior. "Avec notamment les succès du roman dystopique ou des livres fantastiques comme Harry Potter, comme on tournait le dos à une littérature trop noire".
Sans vouloir "réduire pour autant toute une production qui est extrêmement variée" à un seul courant, François Martin met en avant Une petite voix de Patrick Olivier Meyer – nommé dans la catégorie roman des pépites du Salon du livre jeunesse. L’histoire de Jérémy, 8 ans, qui ne trouve pas sa place ni chez lui ni à l’école, est extrêmement puissante et s’appuie avant tout sur l’imaginaire. Ce petit garçon échange beaucoup avec une petite fille anglaise qui vit dans sa tête. Submergé par ce double imaginaire, Jérémy va finir par inquiéter ses parents et ses proches.
La multiplication des "livres magiques"
Depuis plusieurs années, les formats d’impression et de lecture se développent à une vitesse impressionnante. Livres pop-up – dont le développement a été facilité par l’impression laser – livres qu’on lit avec des lunettes 3D, et un même un album – Le Grenier de Mona Leu-Leu (Seuil Jeunesse) – imprimé avec des encres invisibles qui se révèlent grâce à une lampe 3D,… Autant de format qui font appel aux sens des lecteurs et qui les invitent au rêve.
"On est dans une société qui éduque différemment ses enfants et qui ne les met pas dans des bulles", poursuit Sylvie Vassallo, la directrice passionnée du Salon depuis plus de 16 ans. "Et l’édition jeunesse prend beaucoup de soin à dialoguer dans le réel. Mais ces dernières années, il y a un potentiel d’imagination qui s’est vraiment libéré". D’où l’explosion de ces ouvrages qu’elle appelle "livres magiques".
"Ne pas enfermer non plus les enfants dans un cocon coton"
"Dans ce qu’on reçoit tous les jours, on reçoit beaucoup de choses qui vont très loin dans l’imaginaire et c’est tant mieux", remarque aussi Thierry Magnier, responsable du pôle jeunesse d’Actes Sud (Actes Sud Junior, Hellium et Le Rouergue) et président du bureau du syndicat national d’édition pour la jeunesse. "Mais il ne faut pas non plus enfermer les enfants dans un cocon coton. En tant qu’éditeur, je pense qu’on a une responsabilité énorme de leur ouvrir les œillères pour qu’ils soient conscients de ce qu’il se passe".
"En librairie, les parents demandent très souvent que des albums légers pour s’évader", regrette Emmanuelle Beulque, directrice des éditions Sarbacane. "Il faut un juste milieu. On a besoin de se divertir mais on a besoin aussi de réfléchir sur les grandes questions, parfois lourdes comme la mort, le handicap, la maladie". Et de conclure, entre les deux mondes : "Quand on a un imaginaire riche et développé, on peut mieux faire face à la réalité".