L'événement a vivement éveillé la curiosité des historiens de l'art. Un tableau, découvert par hasard en avril 2014 dans le grenier d'une maison, serait l'oeuvre du Caravage, peinte révolutionnaire du 16e siècle. C'est tout du moins la version que l'expert Eric Turquin va présenter mardi matin. Il a raconté à Europe 1 l'histoire incroyable de ce tableau dont la valeur est estimée à 120 millions d'euros.
Dans les combles parce que jugé trop violent ? En avril 2014, dans une maison de la région toulousaine, une famille victime d'un dégât des eaux veut accéder au toit. Pour cela, "ils cassent une porte dont ils n'avaient pas la clef", explique Eric Turquin. Il tombe alors sur un débarras probablement fermé depuis 150 ans. Découverte étonnante, "derrière cette porte, il y avait un tableau et les propriétaires ne le savaient pas". Une histoire qui pourrait passer pour incroyable sauf quand on connaît l'histoire familiale des heureux propriétaires. Un de leurs ancêtres, un officier napoléonien, a pu lors de ses voyages faire l'acquisition de la toile. D'autant plus que la famille a déjà été en possession d'une peinture de maître vendue il y a 40 ans.
Mais pourquoi ce "grand chef d'oeuvre" a-t-il atterri dans les combles ? Eric Turquin suggère que le sujet sanglant de la peinture, une décapitation, a pu provoquer au 19e siècle le dégoût de la maîtresse de maison qui aurait exiger qu'on l'ôte de ses yeux. Une cachette qui a, selon le spécialiste, permis de conserver l'oeuvre, aujourd'hui "en parfait état".
Une oeuvre connue... et perdue de vue. Pour Eric Turquin, expert reconnu sur la place de Paris, la rencontre avec cette peinture, qu'un commissaire-priseur toulousain lui a fait parvenir il y a deux ans, a été "un bouleversement". Et pour cause, son auteur est "certainement" le Caravage. Une découverte incroyable quand on sait que ce peintre du 16e siècle, connu pour avoir cassé les codes de la peinture de son époque, n'a laissé derrière lui que 64 travaux. A titre de comparaison, Rembrandt en a laissé 400 et Le Greco 800.
Premier argument en faveur de la thèse d'Eric Turquin, les historiens de l'art connaissaient le tableau dont la trace avait été perdue depuis la mort de son dernier propriétaire, Louis Finson, en 1617. Ce dernier, marchand d'art du Caravage, possédait en effet le Judith tranchant la tête d'Holopherne. Il l'avait même décrit dans un texte datant de 1607 où" il en demandait 300 ducas", explique Eric Turquin. Louis Finson, qui a aussi été un élève du peintre italien, en avait aussi fait une copie dont il parle dans son testament, un tableau aujourd'hui exposée au Palais Zevallos à Naples.
La copie de la peinture du Caravage effectuée par Louis Finson est actuellement exposée à Naples :
"La laideur" pour "nous capter". Selon l'expert parisien, la puissance du tableau est telle que seul le Caravage peut en être l'auteur. Le peintre est en effet reconnu pour être "le créateur de l'art moderne", celui qui a fait table rase de ce que faisait les autres peintres de la Renaissance. Sans concession, le Caravage, Michelangelo Meresi de son vrai nom, réalisait des peintures d'un réalisme brutal et baignant habituellement dans des clairs-obscurs. Ce qu'on retrouve dans la peinture découverte à Toulouse. "C'est un artiste qui part de la laideur pour faire de la beauté, c'est là qu'il nous parle, qu'il nous capte", explique Eric Turquin.
Dans ce tableau, la laideur mais aussi la lumière sont utilisées pour faire passer "un message religieux, afin de faire lire la Bible". Plus précisément, le peintre veut montrer "l'héroïne juive Judith qui a su venger son peuple", résume Eric Turquin. Elle y décapite le général assyrien Holopherne, qui dans l'Ancien Testament, assiège la ville de Béthulie situé sur la frontière nord du royaume d'Israël.
Eric Turquin a fait réaliser des radiographies de la peinture pour mieux l'analyser :
Des détails "qui ne trompent pas". Dans le tableau analysé pendant 2 ans par Eric Turquin et de multiples autres experts, des détails "qui ne trompent pas" ont aussi permis de constater "tout de suite" que ce n'était pas une copie. Dans une des mains du général, "il a fait un sixième doigt, qu'il a re-caché pour faire quelque chose de plus fort : la main de quelqu'un qui meurt". "Le pouce était aussi plus long, un copiste ne fait pas ça", tranche Eric Turquin. Enfin, des radiographies de la peinture ont permis de constater que l'oeuvre a été effectuée avec "des coups de pinceau énergiques" et sans travail préparatoire, ce qui était la marque de l'artiste italien.
Déjà un "trésor national". Pour Eric Turquin, même s'il admet de pas pouvoir être sûr à 100%, ce chef d'oeuvre a bien été fait par le Caravage : "j'ai fait plein d'erreur, mais là, je n'en fais pas". Mais même si son expertise n'est pas retenue officiellement, l'Etat a d'ores et déjà décidé de retenir ce chef d'oeuvre en le déclarant "trésor national" en mars dernier. Un moyen d'empêcher sa vente à l'étranger pendant une durée de 30 mois et de permettre son rachat par un musée national.