Au pays des cinéastes barrés, Yórgos Lánthimos se taille film après film une place de choix. En 2015, le réalisateur grec avait surpris avec The Lobster, sa sixième réalisation (sélectionnée en compétition officielle au Festival de Cannes), un conte noir dans lequel les célibataires sont transformés en animaux s’ils ne trouvent pas l’âme sœur dans un temps imparti. Une histoire dérangeante, réflexion acide sur la place du couple dans la société, qui a valu au cinéaste le Prix du jury sur la Croisette.
Avec Mise à mort du cerf sacré, son septième long-métrage qui sort mercredi en salles, Yórgos Lánthimos livre une nouvelle fable sombre et cynique, articulée cette fois autour des questions de la responsabilité, des conséquences et de la vengeance. Soit l’histoire de Steven, brillant chirurgien, mari distant et père de famille peu investi (Colin Farrell, de nouveau devant la caméra du Grec après The Lobster, la barbe broussailleuse en plus). Un jour, il prend sous son aile Martin, le fils d’un de ses patients décédé sur la table d’opération. Soudain, la santé de ses enfants se dégrade et Steven semble impuissant. Martin, qui semble étrangement lié à ces bouleversement lui propose un marché. Un marché qui implique un terrible sacrifice…
Un scénario original. Lánthimos, également scénariste, reprend les ingrédients qui avaient fait de The Lobster une œuvre marquante et déroutante : plans larges, travellings kubrickiens, photo fade voire verdâtre, silences lourds de sens, références mythologiques, introduction d’une dose de fantastique inexpliquée, etc. En revanche, exit l’amour, ici c’est le thème de la justice qui est au centre du récit.
Plus précisément, Mise à mort du cerf sacré se veut une illustration de la loi du talion. Déstabilisé par la mort de son père, Martin (impressionnant Barry Keoghan, vu dans Dunkerque cet été) est obnubilé par la vengeance et harcèle Steven avec son regard vide et ses questions envahissantes. "Je ne sais pas si c’est juste mais c’est ce qui se rapproche le plus de la justice à mes yeux", estime le garçon. Si l’idée est plutôt originale (Lánthimos a reçu le Prix du scénario à Cannes cette année), elle se révèle assez grossière dans sa transposition à l’écran.
Glauque mais après ? L’intrigue met trop de temps à se mettre en place puis devient malheureusement trop linéaire, trop lisible. La deuxième moitié du film n’est donc qu’une longue purge prévisible, ponctuée des hurlements stridents de la bande-originale et de quelques trop rares bonnes idées d’écriture (les accès de violence de Martin ou le fils de Steven qui fait comme si tout allait bien).
C’est glauque, c’est étouffant, c’est angoissant (dès l’horripilant plan introductif, un travelling arrière sur une opération chirurgicale). Mais à quoi bon ? Cette atmosphère morbide ne débouche sur rien et pire encore, ne sert aucun but supérieur. Il faut ici blâmer la réalisation. Méticuleux, cadré, maîtrisé, Mise à mort du cerf sacré est froid, désincarné et lointain. Bref, un film clinique, sans la moindre goutte de pathos (Colin Farrell pleure une fois et cela paraît presque incongru).
Un film froid. L’improbable love story de The Lobster apportait une lueur d’humanité dans sa dystopie effrayante. Ne cherchez pas la moindre émotion dans Mise à mort du cerf sacré car il n’y en a pas. Tous les personnages ont l’air de sociopathes sans âme, des coquilles vides qui vivent leur vie sans même y prêter attention (Nicole Kidman excelle dans ce registre). Les dialogues, récités mécaniquement par les acteurs, n’aident pas à se plonger dans le film. Ils alternent entre échanges plats et réflexions philosophiques pompeuses.
Résultat, Mise à mort du cerf sacré rate sa cible. Le film fait pâle figure face à la référence du genre (pointu) du drame familial glauque qu’est Gone Girl. Là où Fincher fait monter une angoisse insidieuse à travers les détails et les personnages trop ordinaires, Lánthimos, en multipliant les effets de manche et en couvrant les silences d’une musique insupportable, fait office d’éléphant dans un magasin de porcelaine. Provoquer le malaise n’a rien de répréhensible en soi, cela donne même souvent de bons films. Mais encore faut-il savoir le faire monter avec subtilité.