Pour comprendre pourquoi la série Snowpiercer, diffusée petit à petit tous les lundis en France sur Netflix depuis la fin mai, vaut le coup d’œil, il faut rappeler d'où elle vient. D'une bande-dessinée française, d'abord, Le Transperceneige, publiée dans les années 1980. L'histoire est une dystopie : dans un futur lointain au moment de la sortie de la BD (beaucoup plus proche maintenant), le changement climatique s'est irrémédiablement aggravé. Les scientifiques appelés à la rescousse pour refroidir la Terre manquent leur coup et la plongent dans un froid glacial qui menace la survie de l'espèce humaine. La seule planche de salut viendra d'une arche moderne, un train de 1.001 wagons qui peut accueillir 3.000 âmes. Roulant sans s'arrêter autour de la planète, autosuffisante, la machine a été construite par un riche industriel, Wilford, qui en est également le pilote et chef.
Un film très linéaire...
Mais la série vient aussi d'un film, sorti en 2013, première incursion du réalisateur coréen Bong Joon-Ho du côté de Hollywood, six ans avant l'immense succès de son Parasite. Le cinéaste avait alors extrait la substantifique moelle de la BD : le train reproduit en réalité les inégalités de classe de la vie bien réelle, avec des wagons luxueux de première classe à l'avant, des 2e et 3e classes industrieuses au milieu et des "déclassés", ou "sans classes", en queue de train. Ces derniers, qui sont montés clandestinement à bord faute d'avoir assez d'argent pour se payer un billet, vivent entassés dans la misère.
Le film se concentrait sur leur révolte avec une construction très linéaire : les pouilleux rebelles avançaient d'un wagon à l'autre comme on passe les niveaux d'un jeu vidéo, découvrant peu à peu les différents univers du Transperceneige tout en grappillant la dignité qu'on leur avait enlevée depuis longtemps. Bong Joon-Ho a depuis, avec Parasite, prouvé que le sujet de la lutte des classes était son terrain de jeu préféré.
...et une série qui préfère les va-et-vient
Sur Netflix, Snowpiercer est vendue comme une adaptation du film, et non de la BD. Et l'on retrouve Bong Joon-Ho en tant que producteur exécutif, ce qui ne garantissait rien en termes de qualité tant ce titre a tendance à être honorifique (et très lucratif) plus qu'à engager réellement sur un projet de la plateforme. Mais il ne faut pas s'attendre pour autant à ce que le film de 2 heures se retrouve ici dilué en 10 épisodes. La série profite de son format pour faire des choix scénaristiques radicalement différents.
Tout ne commence donc pas avec une révolte, mais avec une enquête : un cadavre étant retrouvé dans les wagons de tête, on vient chercher Layton, un "sans classe" qui se trouve être aussi le seul à avoir été un véritable enquêteur dans le monde d'avant, pour trouver le coupable. La découverte du train ne se fait plus de manière linéaire mais avec des va-et-vient incessant entre l'avant et la queue du train. Si le tout est parfois trop lisse, l'aspect policier de la série reste suffisamment maîtrisé pour accrocher le spectateur.
S'approprier toutes les spécificités du format sériel
Surtout, Snowpiercer au format sériel profite de sa longueur pour s'attarder sur les décors, déjà impressionnants dans le film et qui le sont ici tout autant, ainsi que les personnages. Notamment celui de la concierge en chef du train, Mélanie Cavill, bras droit de Wilford et véritable porte-parole de son employeur alors que celui-ci reste (du moins le croit-on au début de l'histoire) cloîtré dans la locomotive. L'actrice Jennifer Connelly reprend dans la série le rôle tenu par Tilda Swinton dans le film de Bong Joon-Ho et, si elle ne parvient pas à faire oublier l'incroyable performance de sa consœur, s'en sort avec les honneurs. Son personnage, bien plus important sur Netflix que sur grand écran, permet d'aborder notamment le thème de la difficulté de l'exercice du pouvoir, quasiment absent du film.
Et c'est là la grande réussite de cette version sérielle de Snowpiercer : apporter la preuve par l'exemple que le format ne peut pas, ne doit pas se contenter d'être un film en plus long, mais bien s'approprier pleinement toutes ses spécificités pour constituer une oeuvre à part entière.