1,6 millions de ventes : c'est le nombre faramineux d'albums vendus par les éditions Albert René du dernier Astérix : Astérix et la Transitalique. Des ventes qui feraient pâlir d'envie n'importe quel auteur. Alors que sort ce vendredi le 80ème album de Lucky Luke, Un cowboy à Paris, le scénariste Jul, Claude de Saint-Vincent, le directeur général du groupe Média Participations qui détient notamment Dargaud et Dupuis, Philippe Geluck, l'inventeur du Chat et Mathieu Charrier, le spécialiste BD d’Europe 1, décryptent ensemble le succès de la bande-dessinée, au micro de Wendy Bouchard.
Un genre ancré dans les foyers
"La force de la BD, c'est qu'elle est ancrée dans les foyers", explique d'emblée Mathieu Charrier au micro d'Europe 1. "C'est vraiment le Neuvième art", ajoute-t-il. "Il n'y a qu'à voir les chiffres de ventes pour s'en rendre compte : si Astérix domine très largement le classement de l'année 2017, il faut aussi rappeler que la réédition couleur du premier tome de Tintin, Tintin au pays des Soviets, qui est sorti l'an passé s'est écoulé à 200.000 exemplaires. C'est un véritable label", avance le spécialiste.
"Ce dernier numéro de Lucky Luke a été tiré à 400.000 exemplaires, et les ventes sont assurées", poursuit-il. Un succès qui se retrouve dans d'autres chiffres : 15% des Français se disent friands de BD, et ils s'en offrent en moyenne cinq par an. Rien que sur l'année 2017, 43 millions de bandes-dessinées ont été écoulées dans l'Hexagone.
Des caractéristiques qui ne s'appliquent que sur papier
Si la bande-dessinée peut se targuer d'avoir d'aussi bons chiffres de ventes, ce n'est pas seulement une question d'habitude de lecture : on y trouve des éléments scénaristiques propres à ce format. "Prenons par exemple Lucky Luke, c'est une BD qui présente surtout la caractéristique d'être spécifique à son média", analyse Jérôme, auditeur d'Europe 1 et propriétaire d'une librairie spécialisée dans les bulles sur papier, à Paris. "L'idée que Lucky Luke tire plus vite que son ombre ne fonctionne bien qu'en BD. Il y a eu des tentatives d'adaptation en film ou en dessin animé, mais les solutions apportées pour montrer les caractéristiques du héros fonctionnent mal", avance-t-il.
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Un avis partagé par Jul, le scénariste du "lonesome cow-boy" : "Lucky Luke a la chance d'avoir un créateur qui a inventé des choses comme le traitement des couleurs ou encore une forme d'épure dans les décors qui ne sont parfois que de simples silhouettes", rappelle-t-il. "Il y a aussi dans ces BD des cases entièrement rouges ou bleues, et il faudrait au minimum un Tarantino et beaucoup d'argent pour l'adapter convenablement au cinéma".
Le dernier bastion du papier
Alors que journaux, essais et romans ont pris le pli du numérique, la BD, elle, reste fidèle à son premier amour : le papier. "Et elle va échapper au numérique encore quelques années", prédit Philippe Geluck au micro d'Europe 1. "Quand on a dans les mains une BD aussi bien éditée que ce qu'on est capable de faire aujourd'hui, on ressent une émotion, qui ne cesse de se renouveler", avance le créateur du Chat. Un plaisir qui se redécouvre à chaque lecture aussi, peut-être, grâce au dessin. "Dans une bande-dessinée, il y a toujours des choses que vous n'avez pas vues", analyse Claude de Saint-Vincent, directeur de Média Participation, société qui détient notamment Dargaud (Lucky Luke, Blake et Mortimer) et Dupuis (Spirou, Gaston Lagaffe, Cédric).
"Une planche, c'est entre une semaine et dix jours de travail. Il y a beaucoup de choses qu'un lecteur, qui va y passer entre 30 secondes et une minute, ne va pas forcément voir", ajoute-t-il. "Il y a à la fois des BD qui ont plusieurs niveaux de lecture, mais aussi des découvertes à chaque lecture. D'ailleurs, si vous regardez votre bibliothèque, je crois qu'il n'y a pas cinq romans que vous avez relu", explique-t-il. "Mais pour les BD c'est différent : si vous avez un exemplaire de Tintin au Tibet, il va être relu en général deux à trois fois par tous les membres de la famille. Car les héros de BD ont un côté éternel, c'est aussi pour cela que la BD supporte infiniment mieux la relecture qu'un roman", pense le spécialiste.
"La bande-dessinée a donc un côté transgénérationnel, et quand on arrive à franchir une ou deux générations, le pari est gagné : une BD qui franchit 40-50-60 ans a fait la preuve de la solidité de son univers", analyse enfin Claude de Saint-Vincent. "Et c'est exactement ce qui arrive à des titres comme Lucky Luke, Astérix ou Blake et Mortimer, qui ont aujourd'hui presque plus de lecteurs qu'à l'origine", lâche le directeur de Média Participation, avant de conclure : "Je crois que c'est le plus bel hommage d'un héros à son créateur : c'est de lui survivre".