Le prix Nobel de littérature a une saveur particulière cette année. Contrairement à la tradition, ce prestigieux prix n'a pas été remis en même temps que les autres, la semaine dernière. Il sera remis seulement jeudi pour une raison encore inconnue. Certains y voient le signe d'une discorde au sein du comité qui doit se prononcer à l'unanimité. L'Académie suédoise pourrait avoir du mal à se décider à récompenser un auteur engagé. "Le prix serait alors compris comme une prise de position", considère Björn Wiman, responsable des pages culturelles d'un quotidien suédois. Comme pour les autres prix, les spéculations vont bon train sur les favoris en lice.
Un Franco-Syrien parmi les favoris. La France peut se prendre à rêver d'un nouveau prix Nobel de littérature après celui de Patrick Modiano en 2014. Né en 1930 en Syrie, Ali Ahmed Saïd Esber, dit Adonis, a développé une oeuvre majeure qui lui vaut un vaste rayonnement, dans le monde arabe et partout ailleurs. Essayiste, écrivain, peintre, journaliste et universitaire, il se définit avant tout comme un poète et un homme mystique pour qui Dieu est imagination. Il est installé à Paris depuis 1985. Adonis fustige les "dictatures théocratiques" et prône la séparation de l'État et de la religion, le rejet de l'islam dans le champ de l'intime. "Il n’existe pas un islam modéré et un islam extrémiste, un islam vrai et un islam faux. Il y a un islam. Nous avons en revanche la possibilité de faire d’autres lectures", a-t-il déclaré dans un entretien avec une amie psychanalyste.
Une écrivaine américaine outsider. Les États-Unis, primés la dernière fois en 1993, pourraient eux aussi être mis à l'honneur. Don DeLillo, cet écrivain plutôt secret habitué à traiter dans ses romans le thème de la solitude, semble être un bon candidat. Ou encore Philip Roth qui a pourtant renoncé à écrire après la parution de son dernier roman, Némésis, en 2010. "Ça fait longtemps qu'un auteur américain n'a pas reçu le prix", note Madelaine Levy, critique littéraire du quotidien suédois Svenska Dagbladet.
"Il y a de la marge pour une catégorie d'auteurs qui n'ont pas encore été primés", estime Mattias Berg, journaliste culturel à la radio publique SR. Il miserait sur l'Américaine Joyce Carol Oates, auteure de romans, le genre le plus récompensé dans l'histoire du Nobel et de loin. Le prix pourrait aller à une femme. Depuis 1901, seulement quatorze femmes ont été récompensées contre 98 hommes. Les considérations géographiques et de sexe sont pourtant étrangères à l'Académie. La seule chose qui intéresse l'Académie est de savoir si l'auteur est doué, si son écriture est meilleure que celle des autres écrivains sélectionnés", conclut Odd Zschiedrich, chancelier de la respectable institution.
Kenya, Japon, Norvège, Israël... Parmi les autres favoris on trouve également le Kényan Ngugi wa Thiong'o qui bénéficie d'ailleurs de la meilleure cote auprès des bookmakers londoniens, d'après RFI. "Nobélisable" depuis déjà plusieurs années, il est connu dans le monde anglo-saxon pour sa trentaine de romans, pièces de théâtre, recueils de nouvelles, essais et livres pour enfants ainsi que pour son engagement en faveur d'une littérature en langue africaine.
L'auteur japonais Haruki Murakami, créateur d'un univers fantasque qui séduit de roman en roman, est aussi pressenti pour le prix car grand favoris des parieurs et du public. Mais dans les milieux littéraires, on le trouve "trop superficiel", un mauvais point pour remporter les suffrages de l'Académie.
Pour le millésime 2016, Björn Wiman, responsable des pages culturelles du quotidien Dagens Nyheter, cite encore un autre trio d'auteurs : "Je pense que ce sera [le Norvégien Jon] Fosse, j'espère [l'Israélien David] Grossman et me réjouis à l'idée [de l'Italienne Elena] Ferrante". Mais en réalité, tous les paris sont permis puisque, comme le veut le règlement, aucune liste des finalistes n'a été dévoilée. Le suspense reste donc entier.