Le romancier, sacré mardi pour "Boussole", publié chez Actes Sud, est un amoureux de l'Orient, où il a fait de longs séjours.
"Je suis très heureux. Je suis extraordinairement heureux". Mathias Enard avait le sourire à son arrivée au restaurant Drouant, à Paris, et on peut le comprendre. Le prix Goncourt 2015, récompense la plus prestigieuse de l'édition francophone, lui a été décerné pour son livre Boussole, paru chez Actes sud. "Je reviens d'Alger, figurez-vous, et de Beyrouth", a ajouté l'écrivain devant les journalistes présents, "et peut-être que la baraka de Cheikh Abderrahmane, le patron d'Alger, et Saint Georges de Beyrouth ont fait ça et j'en suis extraordinairement heureux" a-t-il plaisanté, tout sourire, au beau milieu d'une cohue indescriptible. Le romancier de 43 ans a ainsi été préféré à Hédi Kaddour et son roman Les prépondérants (Gallimard), à Tobie Nathan pour Ce pays qui te ressemble (Stock) et à Nathalie Azoulai, la seule femme en lice avec Titus n'aimait pas Bérénice (POL).
"La relation à la langue arabe fait partie de moi". Né à Niort en France en 1972, Mathias Enard a fait de longs séjours au Moyen-Orient, précise son éditeur, Acte Sud. L'auteur, favoris broussailleux, cheveux en bataille et larges épaules, est depuis toujours attiré par l'Orient. Arabophone, il parle également le persan, appris à l'université Chahid-Behechti de Téhéran. Avant de s'installer à Barcelone, où il réside depuis 2000 et où il enseigne l'arabe, il a aussi vécu à Berlin et à Beyrouth. S'il ne se définit pas pour autant comme orientaliste, Mathias Enard reconnaît qu'à l'âge de 30 ans, c'est bien la littérature arabo-persane qu'il connaissait le mieux. "La relation à la langue arabe fait partie de moi", confie-t-il.
Une œuvre imprégnée d'Orient. Mathias Enard, grand écrivain contemporain, est désormais un auteur qui compte dans le paysage littéraire français. Son premier roman, La perfection du tir, paraît en 2003, suivi par d'autres ouvrages, toujours imprégnés d'Orient. Zone, paru en 2008, avait pour thème la violence de la guerre ; en 2010, Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants -qui évoque des échanges esthétiques et culturels entre Orient et Occident- décroche le Goncourt des lycéens. En 2012 paraît Rue des voleurs qui raconte cette fois le destin d'un jeune réfugié marocain en Europe.
Quant à Boussole, son dixième livre, très érudit, il met en scène un musicologue viennois, à l'instar de l'auteur, amoureux de l'Orient, qui se replonge dans ses souvenirs lors d'une nuit d'insomnie. Le livre, enfiévré, fait voyager le lecteur d'Istanbul à Alep en passant par Damas, Palmyre ou encore Téhéran. L'écriture, très dense, et les multiples références, contribuent à l'hésitation permanente entre rêve et réalité, tirant aussi vers le poème. Un des objectifs de Mathias Enard était de lutter contre l'image simpliste et fantasmée d'un Orient musulman et ennemi, en soulignant tout ce qu'il nous a apporté.
Le romancier se donne aussi des contraintes. Dans Zone, qui se passe durant un trajet en train entre Milan et Rome, chaque page représente un kilomètre. Dans Boussole, qui se déroule l'espace d'une nuit, chaque page correspond à 90 secondes.
Le Goncourt lui assure d'atteindre 400.000 ventes. Mathias Enard, qui était l'un des favoris du Goncourt, a été élu dès le premier tour de scrutin par six voix, selon l'écrivain Didier Decoin, secrétaire général de l'académie Goncourt. L'écrivain a vendu quelque 60.000 exemplaires de son livre Boussole. Le Goncourt lui assure d'atteindre les 400.000 exemplaires vendus. "En tout cas, moi, j'ai envie de continuer à écrire des livres, de poursuivre le travail que je fais jusqu'à présent avec ces encouragements-là, qui ne sont pas rien !", s'est enthousiasmé Mathias Enard.