Vous avez peut-être les yeux rivés sur l’un des plus grands tournois de tennis au monde : Roland-Garros. Mais connaissez-vous vraiment celui qui a donné son nom à ce stade situé à l’ouest de Paris, et à la compétition internationale qui s'y déroule ? Contre toute attente, Roland Garros n’était pas un grand joueur de tennis. Il était aviateur. Et pas n’importe lequel. Il est le premier à traverser la Méditerranée sans escale le 23 septembre 1913. Quatre ans seulement après le vol de Louis Blériot au-dessus de la Manche.
Roland Garros, le premier à traverser la Méditerranée
Ce jour-là, sur le tarmac de la base aéronautique navale de Fréjus, dans le Var, personne n’est très confiant quant à l’issue de cette tentative. Même Roland Garros, lui-même, émet des doutes. Et pour cause, le lieutenant Édouard Bague a péri deux ans plus tôt lors de son essai.
Mais il en faut plus pour arrêter ce jeune homme téméraire de 24 ans. À maintes reprises, Roland Garros a prouvé que rien ne lui faisait peur dans les airs. Il a enchaîné les numéros acrobatiques, les records d’altitude et les tempêtes… Alors ce n’est pas aujourd’hui qu’il renoncera !
Au petit matin, à 5h47 précisément, il décolle de Fréjus aux commandes d’un Morane de type H, un monoplace de sport et de course équipé d’un moteur de 80 chevaux. Garros part à la boussole. Les 200 litres d’essence qu’il transporte lui permettront-ils de franchir les quelques 750 km qui le séparent de sa destination, Bizerte, au nord de la Tunisie ? Lui-même ne le sait pas. Il espère.
Pour économiser son carburant, Roland Garros a un plan : voler au-dessus de 2.500 mètres, là où la résistance de l’air est plus faible. Mais au bout d’une heure et demie de vol, une pièce du moteur se détache… Heureusement il tourne encore ! Alors l’aviateur poursuit sa route et parvient finalement à rallier la côte tunisienne après 7 heures et 53 minutes de vol. Juste à temps : dans son réservoir, il ne reste que cinq litres de carburant.
Un dandy devenu star
À son retour en France, en paquebot, la foule l’acclame. C’est la grande époque de l’épopée de l’aviation, des meetings aériens, des records à battre… Roland Garros, aviateur déjà populaire avant cet exploit, est désormais une star !
Mais alors qui est ce dandy au regard profond, déterminé ? Le cheveu noir, la moustache épaisse. Une casquette plate parfois vissée sur la tête. Eugène Adrien Roland Georges Garros est né le 6 octobre 1888 à Saint-Denis, sur l’île de la Réunion. Après avoir passé son enfance en Cochinchine, l’actuel Vietnam, il est envoyé au collège en métropole. Il passe son bac et entre à HEC, une grande école de commerce. Son diplôme en poche, il décide d’ouvrir une petite concession nommée "Les voitures de sport Roland Garros". Située au pied de l’Arc de Triomphe, son affaire fonctionne bien. Mais il a bientôt rendez-vous avec un autre destin.
La découverte de l'aviation
En 1909, Roland Garros a 20 ans lorsqu’il découvre l’aviation. En vacances à Sapicourt, près de Reims, il assiste à la toute première édition de la Grande semaine d’aviation de la Champagne, un grand meeting aérien. C’est une révélation. L’invention de l’aéroplane est récente. Les frères Wright sont parvenus à effectuer les premiers vols motorisés il y a seulement quelques années. Depuis, l’aviation est devenue un sport de performance, de vitesse et d’altitude. Elle fascine les foules au point d’attirer des centaines de milliers de spectateurs aux meetings.
Roland Garros est captivé. Au point de laisser tout tomber et de se lancer à corps perdu dans cette nouvelle aventure. L’année suivante, il s’initie seul au pilotage à bord d’un avion qu’il achète. Une Demoiselle, le premier avion léger de l’aviation : une sorte d’ULM, un aéroplane dangereux et fragile surnommé « la tueuse d’homme ». Mais cela ne l’arrête pas, évidemment. Dans la foulée, il obtient son brevet de l’Aéroclub de France et se fait embaucher pour une tournée de meetings aux États-Unis. Là-bas, il a droit à son surnom, plus poétique : "Cloud Kisser", celui qui embrasse les nuages.
À son retour en France, Roland Garros enchaîne les records mondiaux d’altitude. 3.950 mètres, 4.960 mètres, 5.610 mètres... Il faut sans cesse se dépasser, car la concurrence est rude et les records sont vite battus. Son adversaire le plus redoutable est Jules Védrines. Le duel entre les deux pilotes fascine la presse de l’époque.
L'avion comme une arme
Après une série de secondes places, Roland Garros s’illustre en juin 1912 en gagnant le premier grand prix de l’Aéro-Club de France du circuit d’Anjou. Mais cela ne suffit pas à étancher sa soif de défi. En 1913, il décide donc de tenter la traversée de la Méditerranée. Moins d’un an plus tard, un autre défi, plus dramatique celui-ci, se présente à lui : la Première Guerre mondiale. L’avion devient une arme. Et Roland Garros, un pilote de guerre. Il prend même part à une invention qui va changer le visage des combats aériens.
Au début du conflit, il contribue à mettre au point, avec un certain Raymond Saulnier, un système de tir révolutionnaire : le tir vers l’avant, à travers l’hélice. L’idée repose sur une synchronisation de la mitraillette avec les pales de l’hélice, ainsi que sur leur blindage. Grâce à cette invention, il abat plusieurs avions ennemis au début d’avril 1915.
Mais les réjouissances sont de courte durée. Le 18 avril, une panne de moteur, causée par une balle venue toucher l’appareil, l’oblige à se poser en terrain ennemi, au nord de Courtrai, en Belgique. Roland Garros se fait capturer, son arme de bord est inspectée et le procédé ingénieux de tirs à travers l’hélice suscite évidemment l’intérêt des Allemands. Ils réussiront par la suite à le perfectionner et l’utiliser à bord de leurs fameux avions de chasse Fokker.
Roland Garros reste trois ans en captivité, avant de réussir à s’évader en se déguisant en officier allemand. Il sort diminué de cette longue période de détention, il est atteint de sérieux troubles de la vision. Georges Clemenceau, le président du Conseil, lui propose un poste protégé. Mais Roland Garros refuse. Il n’a qu’une envie : voler, et retourner au combat. Funeste décision. Mais comment s’attendre à autre chose de la part d’une personnalité comme Roland Garros ? Lors d’une offensive sur Vouziers dans les Ardennes, le 5 octobre 1918, à la veille de ses 30 ans, il est abattu par plusieurs avions ennemis.
Pour le journaliste spécialiste de l’aéronautique et écrivain Michel Polacco, Roland Garros prend cette décision car il "n'a franchement pas envie d'être enfermé dans un bureau". "Les écrits qu’il a laissés à la fin de sa vie, entre le moment où il est libéré et celui où il vole, sont ceux d’un homme qui voit très très peu. S’il a été abattu en 1918, c’est parce qu’il n'y voyait vraiment plus grand-chose", confie-t-il au micro d'Europe 1.
Roland Garros n'a pas grand chose à voir avec Roland-Garos
Roland Garros a laissé son nom dans l’Histoire. Mais peut-être pas là où on l’attendait. Il est désormais associé au stade et aux Internationaux de tennis. Mais quel rapport a-t-il alors avec ce sport de balles ? Aucun. Roland Garros ne pratiquait pas tellement le tennis ou seulement de manière très occasionnelle. Il préférait le rugby, le football ou le cyclisme…
Si le célèbre stade de la porte d’Auteuil porte son nom, c’est parce que l’un des initiateurs du projet, Émile Lesieur, était un ancien camarade de Roland Garros à HEC. Au moment de sa construction, pour la finale de la coupe Davis de 1928, l’homme alors président du Stade Français a imposé cet hommage en l’honneur de son camarade disparu dix ans plus tôt. "Je ne sortirai pas un sou de mes caisses si on ne donne pas à ce stade le nom de mon ami Garros", aurait-il affirmé.
Roland Garros a croisé au cours de sa vie, de grandes personnalités. Il était un pianiste émérite, ainsi qu’un écrivain et un poète remarquable. Il était d’ailleurs ami avec le poète Jean Cocteau qui lui a dédié, après sa disparition, un long texte : Le Cap de Bonne-Espérance.