"120 battements par minute" a bouleversé La Croisette, samedi soir.
Le premier film français en compétition a bouleversé La Croisette, samedi soir. "120 battements par minute" de Robin Campillo, un film choc sur les débuts de la lutte contre le Sida, évoque l'action des militants d'Act Up dans les années 90. Europe 1 a rencontré Adèle Haenel, actrice, et Robin Campillo, le réalisateur.
Pourquoi vous lancer dans cette aventure d’Act Up dans le début des années 90 ?
Simplement parce que j’étais militant d’Act Up à cette période. Le sida était une affaire très importante dans ma vie. J’ai milité pendant quelques années. J’y ai découvert à la fois un groupe assez joyeux et à la fois assez terrible parce que la maladie ronge les membres d’Act Up, peu à peu. 1992-93, c’est le pire moment de l’épidémie, il y a énormément de morts tous les mois. C’est récemment que j’ai pensé le faire mais avec ce sentiment que je reculais un peu, j’avais peur de faire ce film. Et à un moment donné, je me suis dit qu’il fallait arrêter d’avoir peur et se lancer !
Qu'est-ce que le recul de toutes ces années a changé dans votre vision ?
Je suis plus ému à l’évoquer maintenant que je ne l’étais à l’époque. Je me suis posé la question au moment où je commençais à tourner ce film. Le scénario a été difficile à écrire, il y avait des scènes pour lesquelles je me disais qu’elles allaient être compliquées à tourner. C’est seulement aujourd’hui que je commence à sentir ressortir l’émotion.
Adèle Haenel, vous jouez un des leaders de ce mouvement. Vous avez 28 ans, vous faites partie d’une génération qui a beaucoup été sensibilisée aux ravages du sida et on voit dans le film qu’à l’époque, ce n’était pas du tout le cas. Ca vous intéressait de raconter cette histoire là ?
Oui bien sûr. Je trouve bien de rappeler que les concessions politiques qu’on nous accorde sont le fruit de contestations acharnées.
Campillo, vous avez fait le choix d'être très réaliste, c’était un choix ?
Pour moi le film est comme "en crise", entre des scènes de gens qui parlent dans une boite comme s’ils étaient dans un cerveau et les images qu’ils fantasment. Ce que je trouve le plus réaliste, c’est à la fois ce qu’il se passe dans les réunions et ce qui se passe à la fin du film. Pour le reste du film, je me suis permis de "délirer" un petit peu, en faisant des actions impossibles par exemple. C’est plus un rapport entre des gens qui imaginent des choses et qui imaginent des actions politiques et leurs réelles œuvres.
Les volontaires d’Act Up sont des gens responsables, réfléchis, ils ne sont pas violents, ils pensent leurs actions. Est-ce que vous pensez que c’est encore possible aujourd’hui ?
Campillo : Ça touche les gens dans leur solitude. Ça a été le cas aussi pour l’avortement. Il a fallu que des femmes se mettent ensemble pour qu’on en entende parler publiquement. Les luttes d’aujourd’hui qui font penser à ça sont les luttes anti-racistes. Après, je ne sais pas à quel point internet a tué ces mouvements. Parce qu’il est très facile de créer un mouvement sur Facebook par exemple, mais sortir faire des actions, c’est autre chose.
Haenel : Ca fait très peur de rentrer dans un laboratoire pharmaceutique. Ca demande un courage de fou.
Campillo : Et je pense aussi qu’on est dans une période où les possibilités d’action sont devenues très compliquées !
Le cinéma aujourd’hui semble être moins engagé ?
Campillo : Je me suis rendu compte que la figure du militant est une figure un peu impure au cinéma, un peu ridicule, et je trouve ça dommage. J’ai toujours l’impression de faire des films un peu engagé, mais c’est trouble. J’essaye de poser des questions, d’engager un débat. Dans mes films, j’essaye de faire rentrer du monde, je les regarde faire et puis je fais semblant de les filmer. Ce qui m’intéresse dans le militantisme, c’est que je filme des gens d’aujourd’hui.
Entre le moment de la projection de votre film et l’annonce du palmarès, il se passe à peu près une semaine, vous le vivez comment ?
Campillo : Je suis inquiet tout le temps. Si ça se passe mal, je suis inquiet, si ça se passe bien, je suis inquiet. Je serai bien sûr content d’avoir un prix. Et puis je me dis que si je ne gagne pas de prix, je n’aurais pas à monter sur scène. L’exposition me fait très peur. J’ai toujours rêvé de faire des films que les gens voyaient en mon absence et que je n’avais pas besoin de suivre. Ca me met dans une situation de crise qui ne peut pas être pire dans la semaine qui vient.
Haenel : Je suis très fière d’être dans ce film, donc quoiqu’il se passera... Là, on est content parce que l’on sent qu’il y a une attente autour du film, c’est le plus important.