Il y eut un avant, il y eut un après. Il y a 50 ans, la vague Woodstock submergeait le monde. Europe 1 vous fait revivre, à l'heure des festivals de l'été, l'histoire de cette révolution, non seulement par ce qu'elle a apporté, mais aussi par ceux qui l'ont incarnée. Aujourd'hui, Creedence Clearwater Revival.
Les têtes d'affiches qui vendent plus de disques que les Beatles
Ils sont à la fois la plus extraordinaire erreur de casting de Woodstock et la pierre angulaire du festival, ceux sans qui rien n'aurait été possible. "Quand j'ai imaginé l'affiche de Woodstock, j'ai tout de suite voulu sécuriser les trois groupes incontournables du moment, et ils en faisaient partie", confiait récemment Michael Lang, l'un des organisateurs. Les Creedence Clearwater Revival, c'est leur nom, ont permis à l'événement de devenir crédible aux yeux des investisseurs, mais aussi des autres groupes, sceptiques au départ sur le succès potentiel de ce festival en pleine nature.
Il faut dire qu'à l'époque, les Creedence Clearwater Revival, sont "hot", comme disent les Américains. Chauds bouillants, ils vendent plus de disques que les Beatles aux États-Unis et trustent les premières places dans les hit-parades avec leurs tubes simples. Simplistes, diront même leurs détracteurs, mais diablement efficaces. À l'image de leur Born On The Bayou qui réveille Woodstock dans la nuit du samedi 16 au dimanche 17 août, vers 1 heure du matin.
Stakhanovistes au pays des hippies
Un titre aussi énervé que le groupe à ce moment-là. Les Creedence Clearwater Revival (ne cherchez pas le sens de ce nom, il n'y en a pas, ils pensaient simplement que cela sonnait bien) montent sur scène avec quatre heures de retard. La faute à un concert interminable et terriblement raté du Grateful Dead. En outre, dès Born On The Bayou, leur premier morceau, une partie de leur batterie n'est plus utilisable. Enfin, les musiciens jugeront le son et leur prestation suffisamment catastrophiques pour refuser toute apparition sur disque et dans le documentaire consacré à Woodstock.
Ce n'est pas la première fois que les "Creedence", ou "CCR", comme on les surnomme, sont énervés. Le leader et chanteur, John Fogerty, est considéré comme l'une des figures les plus antipathiques de l'époque. Pour lui, la musique n'est pas un hobby mais bien un métier et un business, avec des horaires, des contraintes et une hygiène de vie. Un gros mot à l'époque. Pas d'excentricité vestimentaire non plus, les membres du groupe arborent des jeans et des chemises à carreaux. Bref, "Creedence" à Woodstock, ce sont un peu les stakhanovistes au pays des hippies.
La consécration avec Proud Mary
Le festival n'a d'ailleurs pas la même signification pour eux que pour d'autres groupes, qui voient ce concert comme une consécration. Pour les Californiens, ça n'est qu'une étape de plus dans un calendrier infernal. Malgré des accents et des thématiques très sudistes, Creedence Clearwater Revival est un groupe de la côte ouest, formé près de San Francisco. Une affaire de famille : il y a là John Fogerty et son grand frère Tom, tous deux guitaristes. Ajoutons-y Doug Clifford, le batteur, et Stu Cook, le bassiste. Tous les quatre travaillent dur, on l'aura compris, et vont trouver une formule, un son, un rythme.
Ne manque plus que le tube pour lancer leur carrière. Il viendra un peu par chance, en 1968. "Vous avez le bon 45 tours", leur dit un DJ très influent de l'époque. "Vous devez juste changer la face A et la face B." La chanson promise à la face A, c'était Born On The Bayou. Pas mal, tout de même. Mais la face B va faire le tour du monde. Il s'agit de Proud Mary et son intro inoubliable.
Ce titre sera repris des dizaines de fois par les plus grands artistes, parmi lesquels Ike and Tina Turner. Et assurera à Creedence Clearwater Revival une renommée planétaire.
Une formule et un groupe qui s'épuisent
Mais cela ne calmera pas les ardeurs tyranniques de John Fogerty, qui essore littéralement son groupe. Les disques s'enchaînent (il y en aura trois rien qu'en 1969), les tournées aussi. John Fogerty accepte toutes les sollicitations, compose ses nouveaux titres dans les avions. Et la formule gagnante finit par devenir une ficelle un peu trop grosse. Comme le groupe, elle s'épuise.
Le premier à quitter le navire est Tom, le frère de John Fogerty. Il sera aussi le premier à disparaître, en 1990. Ce qui ne l'empêchera pas de subir, comme les autres, un après-Creedence très compliqué. Le quatuor devenu trio se sépare définitivement en 1972, dans l'amertume la plus totale. On se chamaille, on se venge, les procès s'accumulent avec la maison de disques comme entre les membres aussi. Les rancœurs deviennent rancunes. Creedence Clearwater Revival ne se reformera plus jamais. John Fogerty a bien tenté de convaincre ses ex-collègues, mais ceux-ci gardent manifestement trop de mauvais souvenirs pour passer l'éponge.
"À l'époque, on était le meilleur groupe du monde"
Restent une sorte d'universalité laissée par ce groupe typiquement américain et des chansons imparables. De petites bombes d'énergie portées par la voix rauque de leur créateur. Comme Fortunate Son, popularisé en France par Johnny Hallyday sous le titre Je ne suis le fils de personne.
John Fogerty a aujourd'hui 74 ans. Fidèle à son éthique de travail, il parcourt toujours la planète et multiplie les concerts. Sa voix n'a guère changé. Sa morgue et son exigence non plus, au moment d'expliquer l'absence du groupe dans les grands souvenirs de Woodstock. "À l'époque, on était le meilleur groupe du monde. Je n'avais pas besoin qu'on nous voit foirer notre truc. J'ai dit non, et je ne l'ai jamais regretté."
Retrouvez tous les autres épisodes de notre série "Woodstock, 50 ans après" :
> Épisode 1 : aux origines du plus iconique des festivals
> Épisode 2 : Richie Havens, l'histoire d'un destin qui bascule
> Épisode 3 : Tim Hardin, adoubé par Bob Dylan, détruit par la drogue
> Épisode 4 : Joan Baez, la conscience d'une génération