Il y eut un avant, il y eut un après. Il y a 50 ans, la vague Woodstock submergeait le monde. Europe 1 vous fait revivre, à l'heure des festivals de l'été, l'histoire de cette révolution, non seulement par ce qu'elle a apporté, mais aussi par ceux qui l'ont incarnée. Aujourd'hui, Janis Joplin.
Noyer son trac dans l'alcool et l'héroïne
C'est elle qui, probablement, incarne avec une intensité unique les folles années 1960. Janis Joplin, la perle comme on la surnomme, arrive à Woodstock auréolée de gloire. Deux ans plus tôt au festival de Monterey, elle avait crevé l'écran alors que son premier album n'était pas encore sorti. Deux ans plus tard, toujours plus libre, plus transgressive, pour ne pas dire scandaleuse, elle débarque à Woodstock en hélicoptère.
Vue du ciel, la foule est gigantesque. Sous le choc, la jeune (26 ans) chanteuse va noyer son trac des heures durant dans l'alcool et l'héroïne. Quand elle démarre finalement son concert dans la nuit du samedi 16 au dimanche 17 août 1969, il est 2 heures du matin et elle n'est clairement pas dans son assiette. Mais la scène est son royaume et elle va encore le prouver avec un Work Me Lord de très haute volée.
Work Me Lord est le dernier titre du troisième album de Janis Joplin, I Got Them Old Kozmic Blues Again Mama, qui sortira juste après Woodstock. Ce sera, déjà, le dernier sorti de son vivant. Une existence courte, souvent triste, avec la musique comme exutoire et les excès en tout genre comme passe-temps.
La revanche d'une ado mal dans sa peau
Rien ne destinait pourtant la petite Texane Janis Lyn Joplin à cette vie de bohème et d'auto-destruction. Sa mère est responsable administrative dans une faculté, son père ingénieur dans le pétrole chez Texaco, tous deux très croyants. La chanteuse a également deux petites sœurs sans histoire. Mais dès le collège, grosse, acnéique, elle est moquée et humiliée. On la traite de "truie", de "monstre", on la dit "amoureuse des nègres" parce qu'elle écoute du blue... et le chante déjà très bien. Il ne fait pas bon sortir du troupeau alors, dans certains États du Sud. À l'université d'Austin, elle est carrément élue "être humain le plus laid du campus".
L'exil est alors inévitable. À 19 ans, Janis Joplin prend la direction de la Californie et San Francisco, où elle s'installe dans le quartier de Haight-Ashbury. Ce sera bientôt la Mecque des hippies, et la jeune fille espère percer comme chanteuse ou musicienne. Pour le meilleur et pour le pire, l'expérience va changer sa vie. Elle découvre l'alcool à haute dose, le Bourbon en l'occurrence, qu'elle ne lâchera plus, et l'héroïne. Elle perd 40 kilos, ressemble de plus en plus à un zombie. À tel point que ses amis financent son retour au Texas chez ses parents pour la mettre à l'abri.
Cheap Thrills, frissons de qualité
La parenthèse avec un job, un fiancé et une vie rangée ne durera que quelques mois. Janis aime trop la musique. Elle a sans doute également trop envie de prendre sa revanche sur ceux qui lui ont fait tant de mal. La jeune femme décide de tenter sa chance à San Francisco une deuxième fois, se promettant et jurant à ses proches que ce sera sans drogue. Un engagement rapidement impossible à tenir, d'autant que le succès arrive enfin. Et avec lui, l'argent et les tentations qui l'accompagnent.
Le second album de Janis Joplin avec son groupe d'origine, Big Brother and the Holding Company, s'appelle Cheap Thrills. "Frissons bon marché", en Anglais, et force de constater qu'il porte bien mal son nom. Numéro un aux Etats-Unis, avec une pochette du dessinateur underground Robert Crumb devenue culte, il contient l'un des plus grands tubes de la chanteuse. Un morceau créé par la grande sœur d'Aretha Franklin, Erma Franklin. Nous sommes en août 1968, et voici Piece Of My Heart.
Dans Cheap Thrills, on retrouve également une reprise étonnante du Summertime de Georges Gershwin, ou encore le fameux Ball And Chain.
La descente
Janis Joplin est alors à l'apogée de sa carrière. Le monde de la musique s'extasie sur ses performances vocales incroyables, le monde tout court lui tend les bras. Elle est invitée sur les plus grands plateaux télé, où elle laisse libre court à sa personnalité exubérante.
Mais la chanteuse est toujours aussi instable, multiplie les amants et les amantes d'un soir, fonce à la nuit tombée au volant de sa Porsche 356 bariolée aux couleurs psychédéliques. Surtout, Janis Joplin ne maîtrise plus sa consommation d'héroïne. On parle de l'équivalent actuel de 1.000 euros par jour, avec au centre de cette spirale infernale, une âme damnée, Peggy Caserta, ancienne hôtesse de l'air et créatrice de mode, tout à la fois amie, amante, dealer et compagne de seringue.
Rien n'y fera, pas même une brève histoire d'amour avec un globe-trotter rencontré au Brésil. Le 4 octobre 1970, alors qu'elle enregistre son nouvel album, son manager la retrouve sans vie dans sa chambre d'hôtel à Los Angeles. Celle qui aura travaillé dur jusqu'au bout est victime d'une overdose.
Flamboyances et misères de la rockstar
Quelques semaines plus tard, le disque posthume est dans les bacs. Il s'appelle Pearl, comme le surnom de Janis Joplin. Et un titre va rapidement s'imposer : une reprise du chanteur country Chris Kristofferson, lui aussi ancien amant de la chanteuse. Ce Me And Bobby McGee sera numéro 1 aux État-Unis.
Les cendres de Janis Joplin ont été dispersées au dessus de l'Océan Pacifique. Dans son dernier testament, modifié deux jours avant sa mort (ce qui a suscité beaucoup de questions sur un potentiel suicide), elle avait légué à ses amis une grosse somme d'argent pour faire la fête en sa mémoire. "Comme ça, ils pourront s'éclater quand je serai partie."
Janis Joplin avait 27 ans. Comme Jimi Hendrix, mort deux semaines plus tôt, comme Jim Morrison, le chanteur des Doors, Brian Jones, le guitariste des Rolling Stones ou Chris Bell, celui de Big Star. Comme Kurt Cobain de Nirvana, ou Amy Winehouse plus récemment. Cette malédiction hante l'histoire du rock. Elle dit beaucoup de la soudaineté et de la brutalité de la condition de rockstar, avec ses flamboyances et ses petites ou grandes misères.
Retrouvez tous les autres épisodes de notre série "Woodstock, 50 ans après" :
> Épisode 1 : aux origines du plus iconique des festivals
> Épisode 2 : Richie Havens, l'histoire d'un destin qui bascule
> Épisode 3 : Tim Hardin, adoubé par Bob Dylan, détruit par la drogue
> Épisode 4 : Joan Baez, la conscience d'une génération
> Épisode 5 : Santana, et la légende se créa
> Épisode 6 : Canned Heat, tant que vivra le blues
> Épisode 7 : Creedence Clearwater Revival, l'indispensable erreur de casting