Woodstock, 50 ans après : The Band, les vétérans

The Band sur la scène de Woodstock.
The Band sur la scène de Woodstock. © Capture d'écran YouTube
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Jean-François Pérès
Tout l'été, Europe 1 revient sur les artistes qui ont incarné la révolution Woodstock lors de ce festival iconique, en 1969. Dans ce treizième épisode, Jean-François Pérès s'intéresse à The Band, incarnation de l'Amérique rurale et authentique au milieu de la vague hippie.

Il y eut un avant, il y eut un après. Il y a 50 ans, la vague Woodstock submergeait le monde. Europe 1 vous fait revivre, à l'heure des festivals de l'été, l'histoire de cette révolution, non seulement par ce qu'elle a apporté, mais aussi par ceux qui l'ont incarnée. Aujourd'hui, The Band.

Look de mormons et expérience de vétérans

En ce dimanche 17 août 1969, à plus de 23 heures, les musiciens qui montent sur la scène de Woodstock ont de quoi surprendre. C'est d'abord une question de look. Avec leurs chapeaux de feutre, leurs lourdes chemises en coton, leurs gilets en cuir noir, leurs barbes ou leurs moustaches, les cinq compères du groupe américano-canadien The Band semblent échappés du siècle précédent. À l'époque des tenues bariolées, des solos de guitare interminables et des égos boursouflés, ils incarnent l'Amérique du nord rurale et authentique.

C'est aussi une question d'expérience. La plupart ont déjà plus de dix ans de concerts quasi-quotidiens derrière eux, ce qui tranche avec les petits jeunots de Woodstock. Dix ans le long de la frontière entre les Etats-Unis et le Canada, d'abord au service d'un chanteur de rockabilly, Ronnie Hawkins, puis d'un type nommé Bob Dylan, qui a voulu un jour électrifier son répertoire et les a choisis, pour ne pas dire élus.

Mélange de blues, de folk et de country

Ce soir du 17 août, The Band ("le groupe"), qui trouvait ce nom à la fois humble et prétentieux, joue The Weight. Un morceau classé par le magazine Rolling Stone comme l'un des 50 plus beaux jamais enregistrés.

Pour de sombres raisons juridiques, cette chanson superbe ne figure ni dans le documentaire Woodstock, ni sur les disques qui résumeront le festival. Pourtant, ce soir-là, The Band offre aux 400 000 spectateurs un concert d'exception, quintessence de leur style unique. Un mélange de blues, de folk, de country, une musique qu'on appellera bientôt "Americana". La performance est filmée par un jeune assistant cameraman, nommé Martin Scorsese, qui en ressortira tellement abasourdi que son histoire personnelle sera désormais liée à celle du groupe.

The Band est alors nimbé d'une sorte de prestige mystérieux, renforcé par son statut de backband de l'icône Bob Dylan. Ce dernier sera l'Arlésienne de Woodstock : attendu comme le messie sur scène ou dans le public, d'autant qu'il habite non loin de là, il n'apparaîtra jamais, expliquant plus tard n'avoir eu aucune envie de se mêler à cette foule de hippies qui envahissait régulièrement sa maison. 

Cinq hommes et une maison rose

Celle de The Band, juste à côté, était bien tranquille. À l'intérieur, les cinq membres du groupe : Levon Helm, batteur, le premier historiquement, Robbie Robertson, guitariste canadien, qui va rapidement devenir le leader, Rick Danko, bassiste, Richard Manuel, pianiste et le très barbu Garth Hudson, organiste et conscience musicale du groupe.

Arrivés dans ce coin de campagne à l'invitation de Bob Dylan quelques mois plus tôt, ils louent l'une des bicoques les plus mythiques de l'histoire du rock, avec des murs roses qui lui vaudront le surnom de "Big Pink". Au sous-sol, on répète inlassablement, quitte à abuser de substances illicites. Dix mois seront nécessaires pour accoucher du premier album, le bien nommé Music From Big Pink, dont la pochette est peinte par Dylan lui-même. Ce disque est non seulement un succès public et critique, mais il aura une influence aussi colossale qu'inattendue sur des stars. Eric Clapton ou George Harrison verront dans The Band une nouvelle voie à suivre, un retour aux sources de la musique.

Derrière le succès, les dissensions

Le deuxième album, sobrement intitulé The Band, enfonce le clou avec sa pochette boisée et sa photo du groupe en noir et blanc. Il sort juste après Woodstock et contient notamment une perle, The Night They Drove Old Dixie Down. Une évocation de la guerre de Sécession, quand les Sudistes battus et affamés vivaient leurs derniers instants.

En janvier 1970, le groupe fait la une de Time. Ce sont les premiers du genre depuis les Beatles à être ainsi honorés par le prestigieux magazine. Mais The Band, aussi mormone que soit son apparence, n'en reste pas moins une formation de son époque, qui cache sous ses costumes de velours et ses barbes de confédérés des addictions à l'alcool et à l'héroïne. Robbie Robertson, l'un des rares à y échapper, devient de plus en plus autoritaire. Lui dit défendre le groupe, Lemon Helm accuse le guitariste (apparemment à tort) de s'accaparer les droits des chansons.

Une tournée d'adieux immortalisée par Scorsese

Les albums inégaux s'enchaînent, les concerts aussi. En 1974, un dernier opus studio enregistré avec Bob Dylan, Planet Waves, est publié sans grand succès. Deux ans plus tard, épuisé et passablement énervé par la tournure des événements, Robertson met sur pied une tournée d'adieux. Une idée de génie : le 25 novembre 1976, au Winterland de San Francisco, pour fêter Thanksgiving, les 5.000 spectateurs se voient offrir de la dinde, mais aussi et surtout du caviar. Une soirée qui va entrer dans l'histoire.

Il y a là Ronnie Hawkins, Bob Dylan, les deux mentors, mais aussi Joni Mitchell et Neil Young, les deux amis canadiens, Eric Clapton, Ringo Starr ou encore le bluesman Muddy Waters. Un casting de rêve, immortalisé par Martin Scorsese. La boucle est bouclée et le résultat considéré comme l'un des, sinon le plus grand film de rock, The Last Waltz. Résumé saisissant de ces huit années qui ont changé la face de la musique contemporaine. Quand on connait la virtuosité des membres du groupe, Stage Fright étonne autant qu'il ravit.

 

Après un dernier album sorti en 1977, la formation originale se sépare. Robertson s'installe à Los Angeles et travaille bientôt pour Hollywood ou pour son ami Martin Scorsese. Pendant ce temps, ses anciens camarades tombent en deuxième, voire en troisième division, jouant dans des salles de plus en plus indignes, assurant des premières parties pour des groupes qui leur doivent tout.

Chant du cygne

En 1986, la plus belle et plus fragile voix de The Band s'éteint. Richard Manuel se suicide après un concert en Floride, à l'âge de 42 ans. Il y aura un chant du cygne dans les années 1990, avec trois albums studios dispensables. Mais quand Rick Danko meurt en 1999 d'une crise cardiaque, les survivants préfèrent en rester là.

Ils ne sont plus que deux aujourd'hui, les désormais révérés Garth Hudson, 82 ans, et Robbie Robertson, 76 ans. Témoins de l'une des plus étonnantes aventures de la musique américaine, qui fascine encore aujourd'hui. Un film documentaire sur la vie de Robertson et de The Band, Once we were brothers ("Au début nous étions des frères"), sera projeté le 5 septembre en ouverture du prestigieux festival de cinéma de Toronto, la ville natale du guitariste. Là où tout avait commencé, à la fin des années 1950.