Il y eut un avant, il y eut un après. Il y a 50 ans, la vague Woodstock submergeait le monde. Europe 1 vous fait revivre, à l'heure des festivals de l'été, l'histoire de cette révolution, non seulement par ce qu'elle a apporté, mais aussi par ceux qui l'ont incarnée. Aujourd'hui, The Who.
Une performance de légende à 5 heures du matin
Dans l'histoire du rock, ils sont d'une certaine manière les égaux des Beatles ou des Rolling Stones. Et c'est peut-être à Woodstock que tout s'est joué. Car quelques mois avant le festival, The Who ne sait plus très bien où il va. Après des débuts fracassants à tous les sens du terme, le groupe anglais s'est enfermé dans une espèce de routine, et devient davantage connu pour ses (formidables) 45-tours que pour ses albums (injustement sous-estimés).
Alors fin 1968, son leader aussi génial que tourmenté, Pete Townshend, tente le tout pour le tout. Il écrit ce qu'on va bientôt appeler un "opéra-rock", l'histoire ambitieuse et improbable d'un enfant sourd, muet et aveugle qui devient un Dieu... du flipper. Le double disque, intitulé Tommy, qui sort trois mois avant Woodstock, est un carton planétaire. Bingo ! Et même extra-ball...
Le lundi 18 août, à 5 heures du matin à Woodstock, c'est un extrait de ce fameux opéra-rock qui entre dans la légende. Sur scène, les Who interprètent We're Not Gonna Take It.
Peu avant que le jour se lève, The Who va jouer l'intégralité de cet opéra-rock. Et We're Not Gonna Take It apparaîtra dans le film-documentaire du festival. Il scelle la légende et le succès de ce groupe vraiment pas comme les autres.
"Je suis de toute façon meilleur que le gars que vous allez embaucher"
Pour comprendre tout de ce succès, il faut revenir aux racines. Nous sommes au début des années 1960, à Acton, dans l'Ouest de Londres. Il y a là Roger Daltrey, le chanteur, qui n'est à l'époque n'est qu'une petite gouape. Viré de son collège, il travaille déjà comme ouvrier métallurgiste. Le weekend, il crache sa rage au sein des bien-mal nommés Detours. Il fait la connaissance d'un bassiste, John Entwistle, puis d'un guitariste, Pete Townshend.
La nouvelle formation commence à se faire connaître avec un répertoire de reprises en tout genre. Et puis un soir, un gamin les accoste, plein de culot. Il veut être leur batteur. "Faites-moi passer un test, je suis de toute façon meilleur que le gars que vous allez embaucher, quel qu'il soit." Il s'exécute... et laisse les trois autres estomaqués par la puissance et la folie de son jeu. Cet espèce de personnage de dessin animé, qui dit s'appeler Keith Moon, fait du trio un quatuor.
Musique sauvage et amphétamines
Le groupe s'appellera un moment The High Numbers pour coller à la vague des Mods, ces jeunes rebelles obsédés par le style, avant d'adopter The Who. C'est court, c'est drôle, ça se retient et c'est facile à décliner sur le plan graphique : les Mods en raffolent. Le groupe devient rapidement leur porte-drapeau, scooters, parkas, costumes deux pièces, et cheveux courts à l'appui. Il y a surtout cette musique sauvage, et pour cause. Tout ce petit monde est accro aux amphétamines, ces petites pilules que l'on prend pour ne pas dormir.
C'est ainsi que pour son premier album, enregistré parait-il en une seule après-midi de 1965, The Who dégaine un titre de légende. Certains affirment que Roger Daltrey, rendu trop excité par les pilules, n'arrivait plus à contrôler son bégaiement. D'autres qu'il voulait se moquer, justement, de ceux qui étaient victimes de cet effet secondaire fâcheux. Quoi qu'il en soit, le résultat de My Generation est bluffant.
"J'espère mourir avant d'être vieux", retient-on de ce titre pourtant immortel. Cette phrase résume à elle-seule l'état d'esprit de ces "baby-boomers" anglais d'après-guerre, bien décidés à faire sauter le verrou des classes sociales et vivre à cent à l'heure. Quelles que soient les conséquences... et les obstacles. Car les Who ne s'aiment pas et ne se sont jamais aimés. Leur alliance est plus une affaire de circonstances que d'amitié entre Daltrey, le petit caïd, Townshend, l'intello ombrageux, Entwistle, le taiseux, et Moon, la grenade joyeusement dégoupillée.
Une histoire de la violence
Il n'y a finalement entre eux que peu de points communs, sinon la violence. Verbale, physique, musicale aussi. Ces quatre-là sont sans doute les plus bruyants, les plus sauvages de tous, n'hésitant pas à fracasser sur scène leur propre matériel, puis à faire subir à leur auditoire des concerts à plus de 120 décibels (le volume d'un avion de ligne au décollage). Une gageure à l'époque que Pete Townshend paye encore aujourd'hui, lui qui est à moitié sourd.
La violence est celle de l'époque, mais aussi de l'existence. Une grande partie de l'oeuvre du guitariste, cerveau et principal compositeur du groupe, est directement inspirée de son enfance, pendant laquelle il fut abusé, maltraité et violé. D'une certaine manière, "Tommy" est une oeuvre autobiographique.
Un énorme gâchis adolescent
Tout au long de son immense carrière, Townshend essaiera de trouver une issue spirituelle à ses traumatismes, sans jamais se départir de son ironie grinçante. L'exemple le plus parfait vient juste après Woodstock, en 1971, dans ce qui est considéré comme le meilleur album du groupe, Who's Next, "Au suivant". La chanson s'appelle Baba O'Riley : Baba pour Meher Baba, qui était à l'époque le gourou indien et anti-drogue de Townshend, et Riley pour Terry Riley, un musicien avant-gardiste qui a beaucoup influencé le Londonien.
Quant au texte, il est une critique virulente de l'héritage de Woodstock. Peace and love ? De sympathiques fadaises, raconte la chanson. "It's only teenage wasteland", c'est juste un énorme gâchis adolescent.
Ce morceau de bravoure, dont l'introduction a fait le bonheur des fans du groupe et/ou de la série Les Experts à Manhattan, est le moment triomphal d'un album quasi-parfait, souvent cité dans la liste des meilleurs disques de rock de l'Histoire. "Je voulais qu'on sonne comme une bombe prête à exploser", racontera Daltrey.
Les meilleurs ennemis réconciliés
Malgré un nouvel opéra-rock devenu culte, Quadrophenia, les Who n'atteindront plus jamais ces sommets. La mort inévitable de Keith Moon intervient en 1977, alors qu'il n'a que 31 ans, après une vie d'excès parfois hallucinants, comme un soir où il avait foncé en voiture dans une piscine. Cette mort a, quelque part, tué l'esprit du groupe.
Mais les Who continuent, malgré tout. John Entwistle, le bassiste, ayant lui aussi disparu en 2002 d'une surdose de cocaïne, ils ne sont plus que deux de la formation originale. Les meilleurs ennemis aujourd'hui réconciliés, Pete Townshend et Roger Daltrey, restent la colonne vertébrale de la formation.
Cinquante ans après la sortie de Tommy, une version orchestrale de l'opéra-rock (qui fut aussi un film à succès dans les années 1970) est parue au printemps. Et on attend très prochainement un nouvel album studio, le premier en treize ans. Finalement, ce n'est peut-être pas plus mal d'avoir survécu à l'injonction de My Generation...
Retrouvez tous les autres épisodes de notre série "Woodstock, 50 ans après" :
> Épisode 1 : aux origines du plus iconique des festivals
> Épisode 2 : Richie Havens, l'histoire d'un destin qui bascule
> Épisode 3 : Tim Hardin, adoubé par Bob Dylan, détruit par la drogue
> Épisode 4 : Joan Baez, la conscience d'une génération
> Épisode 5 : Santana, et la légende se créa
> Épisode 6 : Canned Heat, tant que vivra le blues
> Épisode 7 : Creedence Clearwater Revival, l'indispensable erreur de casting