Comment faire en sorte que les réseaux sociaux servent l’intérêt général ? C'est l’un des sujets du sommet "tech for good", organisé mercredi à l’Elysée. Emmanuel Macron y reçoit les dirigeants des géants du web, dont Mark Zuckerberg, patron de Facebook. Si le président de la République place sa réflexion à l’échelle du pays tout entier, la question des bienfaits (ou des méfaits) des réseaux sociaux se pose aussi à titre individuel. S’ils peuvent être sources de découvertes et de rencontres, les réseaux sociaux peuvent également provoquer jalousie, anxiété, addiction, insomnie ou dépression. Comment utiliser les réseaux sociaux sans sacrifier notre bien-être ?
1) Se rendre compte qu’ils peuvent nous faire souffrir
Ils peuvent être addictifs… Près de 70% des Français sont inscrits sur un réseau social, et ils y passent en moyenne 1h22 par jour. Pour presque la moitié des 18-34 ans (48%!), les consulter est même le tout premier geste du matin, avant d’aller aux toilettes ou d’allumer la lumière, selon une récente synthèse des recherches. D’après la même étude, 42% des adolescents déclarent qu’ils seraient ‘dévastés’ s’ils devaient s’en passer plusieurs jours d’affilés.
Peut-on parler d’addiction ? Si elle n’est pas officiellement cataloguée comme telle dans les grands classements médicaux, la dépendance à Facebook, Instagram et autre Snapchat intéresse - et inquiète - de plus en plus les chercheurs en psychologie. Plusieurs scientifiques américains lui ont même trouvé un nom : la "nomophobie", où la crainte, obsédante et continuelle, de ne pas pouvoir se connecter. Lorsque ce manque est comblé, d’ailleurs, il ne s’accompagne pas forcément d’un sentiment d’épanouissement. "Si les individus trouvent les réseaux sociaux divertissants à court terme, ils sont susceptibles d’éprouver de la culpabilité, liée au fait qu’ils ont négligé d’autres tâches plus importantes", analysent deux chercheurs de l’université d’Aix-Marseille dans The Conversation.
… entraîner jalousie et peur "de ne pas en être". Ce phénomène de dépendance n’est pas la seule source potentielle d’anxiété et de frustration. À voir en permanence la vie des autres, la tentation de se comparer est grande. Or, comme chacun s’évertue en permanence à montrer le meilleur de sa vie, "on est souvent enclin à penser que les autres sont plus heureux et ont une vie bien plus agréable que la nôtre. Regarder la vie ‘heureuse’ des autres sur les réseaux sociaux fait penser que sa propre existence est moins plaisante", résument les deux chercheurs.
L’autre risque lié aux réseaux sociaux vient d’un phénomène appelé "FOMO", pour "fear of missing out", ou "peur de louper quelque chose". "On craint que les autres aient des expériences enrichissantes sans nous. Cette peur conduit l’internaute à vouloir prendre connaissance au plus tôt des nouvelles informations qui y circulent. Quand elle est élevée, la FOMO est souvent associée à une humeur négative, une faible satisfaction de sa vie en général", lit-on dans The Conversation.
2) Opter pour un usage ciblé des réseaux sociaux
La cause de vos malheurs est peut-être extérieure. Pour les chercheurs, la prise de conscience de tous ces risques est la première étape pour se diriger vers une utilisation "saine" des réseaux sociaux. Parfois, la clé est extérieure aux réseaux sociaux eux-mêmes. Un usage excessif est susceptible de cacher un problème profond, qui peut nécessiter d’aller voir un psychologue ou un psychiatre : une trop faible estime de soi (et donc un fort besoin de popularité, de "likes"), un sentiment de rejet, un manque d’affection, un sentiment d’ennui chronique etc.
Le virtuel doit servir le réel.Pour le psychiatre Serge Tisseron, il y a aussi un usage "pathologique" des réseaux sociaux lorsque l’internaute "devient incapable de différencier le dedans du dehors, l’intériorité de l’extériorité", les identités présentées sur le web de celles de la réalité (que cela soit la sienne ou celle des autres). Les spécialistes en appellent donc à reconsidérer les réseaux sociaux pour ce qu’ils sont : des outils pour faciliter les rencontres en vrai. "Pour organiser une soirée, planifier un concert... Rien ne vaut la socialisation réelle et dans l’idéal, Internet et les réseaux sociaux doivent rester des moyens de se rencontrer. Le passage du virtuel au réel est une démarche saine, même s’il peut y avoir de la désillusion (si un inconnu se révèle différent de ce qu’il montre ndlr)", explique dans Psychologies magazine le psychologue Michael Stora. "Sur Internet, la particularité est de pouvoir ne pas s’adresser à une personne précise, mais à une multitude. […] Sa fonction est de maintenir un lien social ‘léger’ susceptible d’être activé à tout moment, tout en évitant de créer une trop grande proximité que du reste personne ne souhaite", poursuit Serge Tisseron.
Cherchez le beau, pas la popularité. Faut-il proscrire tout partage de contenus ? Toute publication de photos ? Tout échange de "bons plans" ? Non, mais il s’agit à chaque fois de se demander si l’on fait ça pour apprendre, ou par peur de "louper quelque chose", par plaisir d’informer, ou pour gagner en popularité, pour (re)nouer un échange voué à se poursuivre dans la vie réelle, ou pour rendre jaloux ses "amis". Et surtout, il s'agit de se demander si cela ne se fait pas au détriment de ce que l'on pourrait faire ailleurs, si cela n'appauvrit pas votre relation au monde : un expo photo ne me touchera-t-elle pas plus qu'une Story Instagram ? Un livre ne m'en apprendra-t-il pas plus qu'un post Facebook ? Une conversation au café ne serait-elle pas plus enrichissante qu'un échange de tweets ?
Une fois ces questions posées, les réseaux sociaux devraient apparaître sous un autre jour. "Il y a de bien jolies manières de partager du beau sur les réseaux sociaux : de la poésie, de l’art, de la peinture, des photos inspirantes, des histoires extra-ordinaires", abonde Anne Cazaubon, chroniqueuse développement personnel sur Europe 1. Et de conclure : "sur les réseaux, certains ont des centaines de milliers de followers, et mettent cette notoriété au service du luxe, du parfait, de l’envie, du toujours plus, pendant que d’autres postent en conscience à leurs 130 amis Facebook, des articles inspirés, des initiatives d’associations, des bonnes nouvelles Et vous, comment choisissez-vous d’occuper ces 1h22 quotidiennes que vous ne consacrez pas à vos propres projets ?".