Qu’est-ce qu’un adulte ? Ou plutôt, à partir de quand devient-on adulte ? Et vous, vous considérez-vous comme adulte ? La question peut paraître banale, insultante même, mais la réponse n'est pas toujours si simple que ça. De nombreux critères s'entrecroisent lorsque l'on tente de donner une définition à "l'âge adulte" ou même au simple "fait d'être adulte". Plongée dans une notion mouvante, mais passionnante.
Le thème est au cœur de l’émission La Vie devant soi, mardi. Isabelle Quenin reçoit Gérard Salem, médecin et spécialiste en thérapie familiale, auteur du livre Tu deviens adulte le jour où tu pardonnes à tes parents, et Juliette Allais, formatrice et psycho-praticienne spécialisée en analyse transgénérationnelle.
Qu’est qu’être adulte pour la…. biologie ?
Le dictionnaire définit d’abord l’adulte comme celui ou celle qui "parvient au terme de sa croissance, à son plein développement". Il s’agit, là, d’une définition purement biologique : est adulte celui qui ne grandit plus, au premier sens du terme. Certains dictionnaires y ajoutent une autre notion, biologique toujours. "Tout être qui a à peu près atteint son complet développement, sinon dans ses dimensions, du moins en ce qui concerne la reproduction, qui, par conséquent, est apte à se perpétuer par la voie sexuelle, est adulte", lit-on dans la définition du Centre national des ressources textuelles et lexicales, le dictionnaire du CNRS.
Toujours sur un plan purement "corporel", il est possible d’ajouter la définition des neuro-sciences. À en croire les chercheurs dans ce domaine, on est véritablement adulte à l’âge de trente ans : à cet âge-là, le développement des neurones est arrivé à son terme. Et l’individu est considéré comme capable de maîtriser ses émotions et ses pulsions.
Qu’est qu’être adulte pour la… psychologie ?
On voit bien, toutefois, les limites de cette définition, ne serait-ce que pour l’opinion commune. Nous avons tous, dans notre entourage, des personnes qui nous semblent adultes bien avant 30 ans, et d’autres qui semblent ne jamais vouloir grandir même si elles sont depuis longtemps en capacité de se reproduire. C’est pourquoi le dictionnaire nous propose une autre définition. "L’adulte est celui qui fait preuve d’équilibre, de maturité", nous dit le Larousse. Et c’est là que tout se complique. Car à partir de quand est-on mature ? La définition la plus communément admise en psychologie semble faire rimer maturité et autonomie, tant sur le plan affectif, intellectuel, moral que financier ou matériel. "Être adulte, ce n’est pas seulement avoir ‘cessé de croître’ (du latin ‘adultus’), mais savoir prendre des décisions et faire preuve d’indépendance", résume Psychologie magazine.
" À 17 ans, on a déjà développé une pensée dite ‘abstraite’ et on a atteint une certaine forme de maturité génitale "
Or, cette notion de maturité fait débat, et personne ne parvient à lui donner une définition claire. Pour certains, on peut-être mature même si l’on dépend encore de ses parents. "Si on compare à l’enfance, on peut déjà parler de maturité à 17 ans", décrypte Stéphane Clerget, pédopsychiatre et auteur de Les Vampires psychiques. "Dans l’Antiquité romaine, on parlait de ‘puérilité’ de 7 à 17 ans, puis ‘d‘adulescence’, terme qui signifiait une sortie de cette puérilité. Et il y a beaucoup d’arguments qui le justifient. À 17 ans, on a déjà développé une pensée dite ‘abstraite’ (on est capable de faire des hypothèses et des raisonnements), notre corps a terminé (ou presque) sa croissance et on a atteint une certaine forme de maturité génitale", détaille le praticien.
Qu’est qu’être adulte pour la… sociologie ?
Peut-on donc être considéré comme adulte à 17 ans ? D’un point de vue biologique et psychologique, oui, on peut. Cela signifierait, donc, qu’être majeur aux yeux de la loi (c’est-à-dire, en France, avoir 18 ans) n’est pas la même chose qu’être adulte. Mais qu’en est-il, dans ce cas, de la place dans la société ? Être adulte ne dépend-il pas aussi de notre degré d’insertion ? Jusqu’aux années 50, selon les sociologues, c’était bien le cas. L’adulte était celui qui "désirait incarner un idéal type, celui de la mère au foyer, de l'homme de métier, du professionnel spécialisé dans tel ou tel art, du prêtre, du militaire, de l'ingénieur. En s'identifiant à cet idéal type, il s'accomplissait et pouvait atteindre une forme de maturité", explique le psychosociologue Jean-Pierre Boutinet, auteur de L'Immaturité de la vie adulte.
Or, selon lui, cette définition a considérablement changé. Dans les années 60, d’abord, la définition est devenue plus mouvante : l’adulte n’avait plus un seul rôle figé, mais il se définissait alors par ses projets, de carrière, d’études, de formation. Etait adulte celui qui commençait à franchir avec succès des "étapes de maturation", des étapes vers la réalisation de ses projets.
Puis à l’aune des années 80 est apparue une autre forme d’adulte, qui a pris de l’ampleur et de laquelle nous ne sommes pas encore totalement sorties : "l’adulte à problèmes", selon les termes de Jean-Pierre Boutinet. L’allongement de la durée moyenne des études a ôté de la valeur au bac ou à la licence. La fin des 30 glorieuses, la mondialisation puis la numérisation des emplois ont instauré une instabilité sur le marché du travail, les CDI se font de plus en plus rares et ils ne signifient pas nécessairement une entrée dans la stabilité. Le brouillage des repères culturels, religieux, sociétaux et familiaux ont entraîné la diminution progressive des "rites de passage" (baptêmes, service militaire, mariages…). Tout cela a supprimé de nombreux critères de définition de "l'adulte", de nombreux "événements de vie" considérés comme des étapes vers l'âge adulte. Si bien qu'aujourd'hui, l'adulte n'est plus "que" celui qui affronte les obstacles de la vie, il se définit avant tout comme l'être qui est responsable face à ses "problèmes".
Qu’est qu’être adulte pour le… "développement personnel" ?
Peut-on sortir de cette version pessimiste de l'âge adulte ? Peut-être en ne mettant pas ce terme sur un piédestal. Car être adulte ne signifie pas nécessairement faire taire son "enfant intérieur", cette "petite voix, ce "petit-vous de 4 ou 5 ans", qui, comme l’écrit notre chroniqueuse Anne Cazaubon, est peut-être "resté coincé dans une émotion à cet âge-là et s’est vu recouvrir de conditionnements, d’épreuves de la vie, il y a des dizaines d’années, et dont la petite voix fragile qui croit ne pas avoir droit au bonheur, s’est transformé en 'voix de la rigidité', en désespoir, en jalousie".
Pour être adulte et affronter ces problèmes, il s'agit donc aussi de réapprendre à communiquer avec cet enfant intérieur. C'est même la première étape pour renouer avec un autre enfant, "l'enfant naturel", celui qui, en nous, continue de nous murmurer des rêves, de l’espoir, de l’émerveillement, de l’amour, de la tendresse, de l’humilité, de la créativité, et que nos exigences "d’adultes à problèmes" ont peut-être quelque peu étouffé. "Sitôt qu’un individu a apprivoisé et nourri spirituellement son Enfant intérieur blessé, l’énergie créatrice de son merveilleux Enfant naturel commence à émerger", abonde le psychologue américain John Bradshaw, cité par Psychologie magazine.
" Être adulte aujourd’hui, c’est aussi refuser des soirées, aller au cinéma tout seul ou boire du vin dans des verres à vin "
"Je vous invite donc à prendre rendez-vous avec vous-même, à ressortir de votre album de famille, cette photo de vous, enfant en commençant par le regarder en face. Et de vous installer, les yeux dans les yeux, avec cette partie de vous, et laisser venir ce qui vient, laisser monter l’émotion peut-être, mais surtout, laisser remonter ce qui, à l’époque, vous mettait en joie", poursuit la spécialiste en développement personnel. Et d'enchaîner : "Qu’est-ce qu’elle aimait faire cette petite fille ? A quoi aimait jouer ce petit garçon ? Est-ce qu’il s’était passionné pour les animaux parce que les adultes ne le considéraient pas ? Est-ce qu’elle s’était réfugiée dans son imaginaire parce que Papa et maman divorçait ? Ah oui, on n’est pas là pour colmater les brèches, pour calfeutrer les issues de sorties. On est là pour rassembler les morceaux de notre puzzle intérieur".
Qu’est-ce qu’être adulte… pour vous ?
Nombre de spécialistes insistent pour distinguer la définition de l’âge adulte et le "sentiment d’être adulte". En clair, nous pouvons nous sentir - ou non - adulte même si l’on n’entre pas dans les critères des sciences. Être adulte aujourd’hui, c’est aussi "refuser des soirées", "aller au cinéma tout seul", "boire du vin dans des verres à vin", "faire des apéros dînatoires" ou tout simplement "prendre confiance en soi", s’amuse par exemple le site Madmoizelle.com. Alors, selon vous, qu'est-ce que c'est ? On attend vos contributions !
Le cinéma ne nous aide pas à trouver une définition
De Tanguy, ce jeune homme de 28 ans qui vit toujours chez ses parents et repoussent sans cesse la fin de ses études, à Marie-Francine, dans lequel Valérie Lemercier est contrainte de retourner vivre chez ses parents à 50 ans suite à un divorce et un licenciement, en passant par Camille redouble, dans lequel Noémie Lvovsky, 40 ans, se réveille dans son corps et à l'époque époque de ses 16 ans... La question de "l'âge adulte" occupe aussi le cinéma français. Et le septième art ne résout pas vraiment notre question : à chaque fois, les personnages, s'ils sont bien "biologiquement adultes", ne remplissent pas nécessairement tous les autres critères...