Entre opposants politiques, entre supporters (ou joueurs) de foot, ou tout simplement dans la vie de tous les jours, l’agressivité, qui aboutit souvent à la violence (verbale ou physique), est régulièrement pointée du doigt. Mais est-elle nécessairement néfaste ? Faut-il, tout le temps, retenir notre agressivité ? Ou existe-t-il au contraire une forme "saine" d’agressivité ?
Pulsion de vie, pulsion de mort
Selon Freud, l’être humain est porté par deux pulsions fondamentales, la "pulsion de vie, et la pulsion de mort". La première nous pousserait à tout mettre en œuvre pour rester en vie, la seconde viserait à l’autodestruction de la vie, la sienne ou celle de l’autre. Encore aujourd'hui, pour certains psychanalystes et/ou psychologue, l’agressivité est à l’œuvre dans l’une comme dans l’autre de ces "pulsions". Il existerait en effet une "agressivité positive", que l’on pourrait définir comme une force motrice nous poussant à survivre ou à "combattre pour son propre espace légitime d’existence", pour reprendre les termes du psychologue français Serge Ginger. L’agressivité négative serait alors une force du même ordre, mais qui aurait "dérapé" et nous pousserait à vouloir faire du mal à autrui.
En anglais, d’ailleurs, le terme est double. Agressivity désigne l’intention de nuire à autrui, agressiveness fait référence à l’affirmation de soi, à la combativité. "L’agressivité peut être associée à une intention de nuire à autrui, avec l’idée d’y trouver du plaisir. Mais elle est aussi une composante du dynamisme général de la personnalité et des comportements adaptatifs d’un individu", résume encore le psychiatre Serge Tisseron, auteur d’un article sur la question dans la revue spécialisée MNH.
L’agressivité "saine", nécessaire au désir
Et à trop vouloir contenir son agressivité "positive", on risquerait de nuire à son propre désir, comme l’affirme la psychologue Brigitte Martel, spécialiste en Gestalt-Thérapie*. "Frederik S. Perls, le fondateur de la Gestalt, parlait d’une ‘saine agressivité’ : celle du bébé qui crie et mord pour se nourrir, celle qui donne envie aussi de ‘mordre’ la vie à pleines dents", explique-t-elle dans Psychologie magazine. Et de poursuivre : "Il y a beaucoup de cas ‘d’hypoagressivité’, typique de ceux qui n’osent pas s’affirmer. Souvent, les injonctions entendues dans l’enfance ont façonné leur corps. Ceux à qui on a répété : ‘Ne bouge pas comme ça !’, vivent avec un bassin rigide, bloqué. Ils ne s’autorisent pas à éprouver du désir. A l’inverse, ceux qui ont une agressivité débordante, les hyperagressifs, ont du mal à canaliser leur désir".
Selon Brigitte Martel, il est donc important de ne pas inhiber ses désirs. Sans forcément passer à l’acte (en assouvissant vraiment son désir), il s’agit de regarder ses sentiments ou ses "fantasmes" en face, de les laisser nous venir à l’esprit, de les méditer, de donner libre court à son imagination, sans culpabiliser. "Le traitement consiste à permettre à la personne de se ‘balader’ dans son désir tout en comprenant qu’elle n’est pas obligée de passer à l’acte. Fantasmer, cela permet de récupérer et refaire circuler une agressivité que l’on n’agira pas. C’est une vraie révélation pour beaucoup de patients", suggère-t-elle.
L’agressivité n’est ni la violence, ni la colère
Pour certains spécialistes, toutefois, l’agressivité implique toujours "le désir de faire reconnaître sa puissance par l’autre", selon les termes du psychiatre Serge Tisseron. Ce dernier appelle donc à distinguer l’agressivité de "la violence" pure, qui peut être provoquée par le simple désir de survivre ou de protéger ses proches. "La personne violente ignore autrui, alors que la personne agressive en a besoin pour lui faire reconnaître sa puissance. […] La distinction est essentielle : nous sommes tous concernés par la violence alors que nous ne le sommes pas tous par l’agressivité. Il faut, pour être agressif, une revendication de puissance", avance le psychiatre. Le risque est donc que l’agressivité se transforme en sadisme, lorsque l’on prend plaisir à voir sa victime souffrir. Pour prévenir une telle dérive, pas de recette miracle : pour le spécialiste, il faut réapprendre à se mettre à la place de l’autre, à le traiter comme un semblable, reconnaître en lui des émotions qui sont en nous.
D’autres en appellent, enfin, à faire une ultime distinction, peut-être la plus fondamentale. "L’agressivité n’est pas la colère. Il existe une colère saine, pas une agressivité saine", affirme pour sa part la psychologue Yvane Wiart, contactée par Europe 1. Lorsque la colère monte, il s’agit donc, autant que possible, de ne pas la contenir. "Nous avons le droit de nous plaindre. L’agressivité n’est qu’une colère malsaine, qui a dérivé. Et elle résulte, souvent, d’une colère que l’on n’a pas su exprimer au bon moment", poursuit l’auteure de La perversion relationnelle : Comment vaincre la violence psychologique ? (Le Courrier du livre). Et de conclure : "La colère permet d’avoir une démarche constructive, d’essayer de renouer un dialogue, de renouer un terrain d’entente avec l’autre. Elle aide à parler de soi, à dire ‘ce que tu fais ne me plait pas’ plutôt que de d’attaquer l’autre, de dire ‘tu es un sale con’. Ça, c’est une agression. Et ce n’est pas sain".