Grèves, humanitaire, dons… être solidaire nous fait-il du bien ?

Solidarité
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La solidarité fait souvent avancer de grandes causes, et tous les mouvements sociaux s’en revendiquent. Mais que nous apporte-t-elle à titre personnel ?

C’est peut-être le mot de la semaine : solidarité. "On est tous le cheminot de quelqu’un. Solidarité !", exhorte sur son site le Nouveau parti anticapitaliste (NPA). Le slogan a été repris sur notre antenne par Alexis Corbière, de la France insoumise, invité mardi de la matinale d’Europe 1. Les cheminots actuellement en grève contre la réforme de la SNCF assurent eux-mêmes que leur mouvement est "solidaire" des générations futures, puisque la réforme des statuts ne concernera que les nouveaux employés de la compagnie ferroviaire. Dans le même temps, la réforme du droit d’asile, examinée cette semaine à l’Assemblée, entend donner un cadre au "délit de solidarité", expression employée dans le débat public lorsque quelqu’un vient, illégalement, en aide à des migrants.

Plus largement, le terme "solidarité" peut s’appliquer à quiconque s’engage, agit ou prend la parole pour soutenir une personne, un groupe ou une cause dont il s’estime "solidaire", dans le cadre d’une association, d’un corps de métier (on pense aux pompiers, aux policiers, aux militaires), ou à titre individuel (avec un don, par exemple). Europe 1 a décidé de s’intéresser à cette notion de solidarité, et aux bienfaits personnels qu’elle apporte à celui qui s’engage dans une démarche solidaire.

  • Comment définir la solidarité ?

Le terme vient du latin "solidus", signifiant "solide, massif, formant un tout".  Le Larousse le définit ainsi comme un "rapport existant entre des personnes qui, ayant une communauté d’intérêt, sont liées les unes aux autres" ou encore comme le "sentiment d’un devoir moral envers les autres membres d’un groupe, fondé sur l’identité de situation, d’intérêts". Le Robert y ajoute "l’obligation morale de ne pas desservir les autres (membres d’une communauté) et de leur porter assistance". Parmi les synonymes que lui accolent les dictionnaires, on trouve "le fait de se serrer les coudes", la "camaraderie", "l’entraide" ou encore la "fraternité".

En clair, la solidarité regroupe autant les notions d’altruisme, de sacrifice, que d’interdépendance. Elle lie la volonté de se battre pour une cause supérieure et le sentiment d’appartenance à un groupe. Elle renvoie au dépassement de soi au profit d’un tout, d’une communauté qui peut aller jusqu’à l’humanité toute entière. "Si l’on voulait dresser à grands traits un tableau de la conception de la solidarité aujourd’hui, on pourrait dire qu’il en existe deux versions. D’un côté, une solidarité nationale, à travers les politiques publiques de solidarité. De l’autre, un important développement de l’engagement humanitaire avec une multiplicité d’actions associatives ou solidaires", écrit la philosophe Marie-Claude Blais.

  • Que nous apporte la solidarité ?

La solidarité, à l’échelle d’un groupe, permet de faire avancer de grandes causes, et les exemples dans l’histoire ne manquent pas. Mais les bienfaits se mesurent aussi à l’échelle individuelle. Les neurosciences, d’ailleurs, commencent à investir ce champs là. Engagement, altruisme, don de soi, amitié… "Nous savons aujourd’hui que ces comportements participent à la production de sérotonine (hormone de la régulation des humeur, responsable du sentiment de quiétude) dans le cerveau", indique à l’Express le neurologue Pierre-Marie Lledo.

Dans sa célèbre"pyramide des besoins" (très utilisée en management, notamment), le psychologue américain Abraham Maslow place au sommet des besoins fondamentaux de l’être humain le "besoin d’appartenance", le "besoin d’estime" (de soi et de la part des autres) et le "besoin d’accomplissement (la quête de sens)". Et la solidarité répond à ses besoins fondamentaux. "Aujourd’hui, de plus en plus de jeunes et d’actifs se sentent investis d’une mission de solidarité. Lorsqu’on se donne aux autres généreusement, on rentre chez soi avec une impression de richesse intérieure immense. On ne gagne pas d’argent, mais il n’y a pas de gratuité non plus : on reçoit énormément. La dimension de plaisir et d’épanouissement est donc toujours présente", détaille dans Psychologie magazine le psychanalyste Luis Spinoza.

La psychologie positive, une méthode venue des Etats-Unis, a précisément pour but de réinscrire les individus dans un processus de dépassement de soi, d’altruisme, dans le but d’obtenir un bonheur durable et de sortir de la quête obsessionnelle du plaisir ou de la "récompense". Dans un article pour Sciences Humaines, le psychologue Jean-François Marmion en décrit le principe en ces termes : "le nectar de l’existence ne serait pas la ‘belle vie’ mais une vie pleine de sens, où nous parvenons à transcender notre propre bonheur pour nous mettre au service des autres. Le ‘sens’ n’aurait de sens que dans l’oubli de soi…".

Un besoin de solidarité qui serait décuplé dans nos sociétés modernes, complète dans Psychologie magazine le psychologue Frans De Waal : "nous commençons à réaliser qu’il n’est pas bon de fonder une société sur l’individualisme et la compétition. Nous sommes en quête de nouveaux principes fondateurs et je pense que les sociétés animales, qui misent plus qu’on ne le pense sur la solidarité et l’entraide, ont beaucoup à nous apprendre".

  • La solidarité peut-elle avoir des effets néfastes ?

Toutefois, la solidarité n’est pas nécessairement porteuse de bien-être et d’accomplissement. Un acte solidaire engage souvent la totalité de son être. Et parfois, les causes ou les personnes pour lesquelles on se bat aboutissent à un échec. Et la possibilité d’un violent retour de bâton n’est jamais exclue. "Le don de soi n’est pas toujours récompensé et l’assistance à autrui se paye aussi d’une fatigue compassionnelle bien connue des personnels de soin et de tous les aidants", rappelle le sociologue Jean-François Dortier, dans Sciences humaines.

En outre, qui dit solidaire dit communauté. On peut, certes, se sentir solidaire de l’humanité toute entière. Mais parfois, la solidarité avec les siens peut entraîner le mépris des autres, ce qui en enlève tous les bienfaits. "Nous sommes aussi capables de supprimer toute forme d’empathie, en déshumanisant l’autre, en le réduisant parfois à moins qu’un animal", rappelle Frans De Waal. Et de conclure : "Quand l’autre ne nous ressemble plus, pourquoi éprouver de la compassion ? On a notamment pu voir ces effets pendant la Seconde Guerre Mondiale".

> Les trois informations à retenir 

- La solidarité est un dépassement de soi, en faveur d'une communauté à laquelle on se sent appartenir

- L'engagement solidaire libère de la sérotonine et répond à des besoins fondamentaux de l'être humain

- La solidarité peut aussi rimer avec fatigue et déception, et s'avérer excluante