La faim a-t-elle des vertus ? Pour les musulmans, qui vont entrer cette semaine dans le mois sacré du ramadan, le jeûne est un moyen de se rapprocher de Dieu. Pilier de l’islam, il fait suite à une prescription coranique explicite. Le jeûne est également vu comme un moyen de se détacher de ses préoccupations matérielles, et de se mettre à la place des plus modestes. On trouve des similitudes dans le jeûne précédent le carême pour les chrétiens. Et la plupart des grandes religions du monde proposent des périodes de privation de nourriture, pour des raisons diverses.
Mais au-delà des questions religieuses et spirituelles, le jeûne a-t-il vraiment un intérêt ? Depuis quelques années, les stages de "jeûne et randonnées" se multiplient en France, promettant bien être et sérénité. A divers endroits du monde, des hôpitaux et des médecins se sont saisis de cette pratique à des fins thérapeutiques. Mais ils sont également très nombreux à appeler à la prudence. Et pour cause : le jeûne n‘est pas une solution miracle à tous les maux, et il ne se pratique pas n’importe comment. Quelles sont ses vertus et comment en bénéficier ? Europe 1 vous livre quelques clés.
Quels sont les bienfaits attribués au jeûne ?
Un rééquilibrage pour le corps. Lorsque l’organisme reste longtemps sans consommer de nourriture, il puise dans ses réserves : dans les quatre à six premières heures suivant le dernier repas, il va assimiler les nutriments ingérés, puis il va commencer à piocher dans les sucres stockés dans le foie, dans les graisses de notre corps, dans les protéines de nos muscles et va même, lorsque le jeûne est très long, chercher de l’énergie dans la moelle osseuse. Or, lorsque l’organisme puise ainsi dans ses réserves, il élimine (en partie) ce qui pouvait s’y trouver de toxique. "Le foie et les parois de l’intestin se régénèrent, le pancréas et l’estomac sont mis au repos et la flore intestinale se rééquilibré", détaille dans Madame Figaro Françoise Wilhelmi de Toledo, médecin nutritionniste et directrice d’une clinique spécialisée à Überlingen, dans le sud-ouest de l'Allemagne. De ce procédé, peut naître de nombreux bienfaits :
- Une réduction de la production de sébum est, donc, une peau qui se régénère, devient plus lisse. Les cheveux en ressortent aussi fortifiés
- Un système digestif remis en état de fonctionner
- Une perte de poids et, donc, une réduction des risques cardiovasculaires
Un sentiment de légèreté pour l’esprit. Lorsque le corps a faim, le cerveau produit aussi de l’acétone, un puissant stimulant qui favorise la vigilance et les facultés cognitives. Et selon Françoise Wilhelmi de Toledo, après deux ou trois jours de jeûne, la sensation de faim disparaît. "Nous ne sommes plus dans le cycle classique ‘j’ai faim, je mange, je suis rassasié’. Nous entrons dans un état de contentement et l’on ressent de la sérénité", explique-t-elle.
Ce sentiment de "sérénité" ou de "légèreté" est également au cœur des promesses des fédérations qui organisent des stages "jeûnes et randonnées" (voir plus bas). L'institut de psychiatrie de Moscou a même recours au jeûne dans la prise en charge de diverses maladies mentales, telles que la dépression ou les troubles obsessionnels compulsifs. Et comme le rappelle ici Le Monde, plusieurs hôpitaux du Japon le proposent également à leurs patients dans le cadre de psychothérapie.
" C'est une hérésie. Il faut privilégier le bon sens alimentaire, la constance, l'équilibre "
Une aide face à certaines maladies ? "Le corps humain est beaucoup mieux adapté à la carence de nourriture qu’il ne l’est à son excès", résume dans Psychologies magazine Yvon Le Maho, directeur de recherches en biologie au CNRS. Plusieurs chercheurs étudient également la possibilité d’utiliser le jeûne dans le traitement de certaines maladies : maladies des articulations, cas d'inflammation chronique et d'allergie, maladies cardio-vasculaires, troubles du foie et du tube digestif, fatigue chronique... D’autres envisagent même le jeûne comme un moyen d’appuyer la chimiothérapie contre certains cancers : des tests concluant ont été réalisés sur des souris par le chercheur américain Valter Longo, même si l’on est en attente de résultats probants chez l’être humain.
Tous ces bienfaits sont-ils prouvés scientifiquement ?
Les bienfaits du jeûne continuent toutefois de susciter de vifs débats. Et il faut prendre toutes ces informations avec beaucoup de pincettes. "C'est une hérésie. Il faut privilégier le bon sens alimentaire, la constance, l'équilibre. Le corps humain est conçu pour recevoir de la nourriture toutes les quatre heures. Sinon, on est dans une logique de survie, on crée du stress pour l'organisme", estime pour sa part le Dr Laurence Plumey, médecin nutritionniste interrogé par Le Monde.
Comme l’a montré le chercheur français en médecine Jérôme Lamar, dans une étude publiée en 2012, plusieurs travaux (la synthèse est à retrouver ici) viennent souligner les bienfaits du jeûne. Mais ils comportent, tous, des biais cognitifs (nombre insuffisant de personnes testées, manque de contextualisation, études effectuées sur des animaux etc.). La plupart des bienfaits du jeûne relève donc "de la croyance non scientifiquement prouvée", conclut Jérôme Lamar. Une croyance appuyée sur des témoignages de patients ou de médecins, qu’il faut donc prendre avec prudence.
Comment jeûner sans danger ?
Allez d'abord voir un médecin, et faîtes-vous accompagner. D’où l’importance, lorsque l’on souhaite se lancer dans l’aventure, de respecter un certain nombre de précautions. Parlez-en au préalable à votre médecin : même s’il n’est pas d’accord avec la pratique, il vous dira au moins si vous avez des contre-indications. Et si c’est le cas, mieux vaut éviter de se lancer. Vous pouvez également vous faire entourer de spécialistes. À l’étranger, les cliniques Buchinger, à Überlingen ou à Marbella (buchinger.com ou buchinger.es), vous donnent la possibilité d’être accompagnés médicalement. Et en France, vous pouvez opter pour des stages de "jeûne et randonnée", via les sociétés La Pensée sauvage, L’Amandier ou Jeûne et randonnée, par exemple. On vous suggère également les ouvrages L’Art de jeûner, de Françoise Wilhelmi de Toledo et Le Jeûne, une nouvelle thérapie ?, du journaliste Thierry de Lestrade.
Ne vous privez pas totalement. Les partisans du jeûne, qu’ils soient médecins ou coachs au sein d’une fédération, insistent aussi sur la nécessité de ne pas se priver totalement d’apport nutritif. Continuez donc à boire de l’eau (1,5 à 2L) et variez les boissons pouvant vous apporter des nutriments, comme du jus de fruit ou des bouillons de légumes. Ne vous lancez pas dans un jeûne trop long pour débuter : une semaine suffit. Et ne dépassez surtout pas 40 jours, seuil au-delà duquel l’organisme se vide totalement de ses réserves. "Ceux qui ne se sentent pas capables d’une pratique prolongée peuvent préférer le jeûne intermittent : un jour par semaine de jeûne complet ou de monodiète avec trois repas composés d’un même aliment, au choix des fruits, du riz ou des pommes de terre (sans pain ni matière grasse !)", ajoute Psychologies magazine.
Réservez-vous un temps dédié. Il est également conseillé de prendre des vacances dédiées à cette activité. "Rien ne sert de décréter un jeûne du jour au lendemain. Dites-vous ‘J'ai une semaine’ et choisissez de préférence un endroit éloigné du stress et des agressions extérieures pour suivre votre jeûne. Il est déconseillé de travailler en même temps", insiste Dr. Wilhelmi de Toledo. Durant cette période, ne bannissez pas toute forme d’activité physique. Selon votre forme, agrémentez vos journées de promenades à pieds ou de balades à vélo. La méditation et la lecture permettent aussi de détourner votre attention de la sensation de faim.
Ne reprenez pas vos habitudes d’un seul coup. Enfin, il est impératif de respecter une phase de transition entre la fin de votre jeûne et le retour à une alimentation normale. "Si le jeûne dure une semaine ou plus, la reprise doit s'étaler sur quatre ou cinq jours. L'estomac étant plus petit, l'envie de manger sera plus grande que nos capacités digestives. Si on mange trop, la reprise sera brutale et entraînera des vomissements. Le plus important est de manger lentement et de bien mâcher chaque aliment", prévient Françoise Wilhelmi de Toledo. Le premier jour, ne dépassez pas huit cents kilocalories, puis mille, mille deux cents et mille six cents.
"Mangez exclusivement bio et végétarien pendant les deux semaines suivantes pour que l’appareil digestif se réadapte, en appréciant le goût et la texture de chaque bouchée et en buvant abondamment entre les repas", suggère également Psychologies magazine. Une fois cette période de transition écoulée, essayez autant que possible de conserver une alimentation équilibrée : gardez en tête que votre corps a changé ses habitudes, et qu’il aura du mal à supporter un afflux soudain de gras ou de sucre.