Ils peuvent être loufoques, absurdes, angoissants, érotiques, parfois fantastiques ou au contraire confondants de réalité… Nos rêves, pour peu que l’on s’en souvienne, résistent bien souvent à nos tentatives d’explication. Pourtant, "le rêve oblige à l'interprétation. Il est une énigme à décoder", soulève le psychologue Tobie Nathan, auteur du livre Les secrets de vos rêves. Car s’ils sont pour la plupart obscurs, les rêves n’en restent pas moins des outils intéressants pour mieux se connaître et se préparer aux épreuves de l’avenir. Comment les utiliser ? Europe 1 vous donne quelques clés pour mieux pénétrer vos songes.
Les rêves révèlent qui nous sommes…
"Il y a en chacun de nous […] des désirs terribles, sauvages, déréglés, et cela est mis en évidence par les songes", écrivait Platon dans La République, quelque 2.300 ans avant Freud. La psychanalyse a, depuis, largement creusé cette thèse : nos rêves expriment nos désirs les plus enfouis, ou nos angoisses les plus profondes. Ils sont "la voie royale d’accès à l’inconscient", avance Freud. Selon le célèbre neurobiologiste Michel Jouvet, les rêves nous rapprochent de notre "programmation génétique initiale", nous aident à redevenir nous-même en faisant ressortir nos préoccupations fondamentales, noyées pendant la journée dans de futiles soucis.
"Le rêve donne une information, comme une sorte de baromètre intérieur de la personne, de ses fonctionnements. Dans le rêve, on va trouver des symptômes de blocages, ou des choses qui sont mises en valeur", explique sur Europe 1 le psychanalyste Tristan-Frédéric Moir, invité mardi de l’émission La Vie devant soi. Une situation particulièrement récurrente dans nos rêves mettra donc en lumière un problème ou un désir important, devant lequel nous fuyions lorsque nous sommes éveillés, et qui ne peut donc exister que durant notre sommeil.
" 70% de nos rêves auraient une composante anxiogène. Ce n'est pas forcément nocif "
Parfois, les rêves identifient aussi les chances que nous n’avons pas su saisir et qui continuent de nous tourmenter, ou nous aident tout simplement à nous mettre au clair sur ce que nous ne serons jamais. "Il n'est par exemple par étonnant que beaucoup de personnes hétérosexuelles rêvent au moins une fois de coucher avec quelqu'un du même sexe. Cela ne témoigne pas forcément d'un désir refoulé mais nous permet d'imaginer ce que nous aurions pu être", détaille Tobie Nathan dans L’Express.
Mais le plus souvent, les rêves nous mettent devant nos peurs les plus fortes. "Selon les scientifiques, 70% de nos rêves auraient une composante anxiogène. Ce n'est pas forcément nocif. Cela nous permet de nous préparer à de potentiels soucis, à devancer l'angoisse qui nous saisit parfois au quotidien", poursuit le chercheur. En nous mettant en situation face à nos peurs, les rêves nous aident ainsi à mieux y faire face. Ils nous fournissent des hypothèses pour résoudre nos questions et nos problèmes, et nous en font imaginer les potentielles conséquences.
Dans une étude publiée en 2014, la neurologue Isabelle Arnulf raconte par exemple comment 92% des reçus à un concours de médecine rêvaient qu’ils ne s’étaient pas réveillés à temps, que leur train n’arrivait pas, que les sujets étaient illisibles… "Le cerveau anticipe les situations périlleuses en cherchant les solutions pour y échapper. Tel un joueur d’échecs, il envisagerait les coups un par un pour optimiser ses chances de gagner la partie", commente Psychologie magazine.
… Mais attention aux mauvaises interprétations !
Il n’est, toutefois, pas toujours facile de comprendre à quelle situation de notre vie réelle nos rêves font référence. Comment savoir quelle peur, quelle préoccupation existentielle ou quel désir se cachent derrière les dents que l’on perd dans nos rêves, l’attirance que l’on peut ressentir face à un(e) inconnu(e) ou cette souris en costard-cravate qui vient nous raconter des histoires saugrenues ? Les dictionnaires de songes fournissent rarement une réponse très tranchée. À les croire, la perte d’une dent peut signifier aussi bien une faible confiance en soi, un manque d’agressivité pour se défendre, une perte de vitalité, d’énergie ou la peur de la mort. L’araignée peut désigner une mère trop protectrice, la création artistique ou un piège devant lequel on se trouve...
>> Dans La Vie devant soi, Europe 1 passe au crible quatre rêves parmi les plus courants : la chute, l'envol, la perte des dents et les araignées. Pour (ré)écouter l'émission, c'est par ici :
L’interprétation des rêves érotiques est tout particulièrement difficile. Par exemple, rêver que l’on trompe son mari/sa femme avec le/la voisin(e) ne signifie pas, forcément, qu’il s’agit là d’un fantasme refoulé. Selon les interprétations, cela peut simplement évoquer une pulsion sexuelle passagère que le rêve permet de soulager (et votre voisin(e), pour une raison qui peut être secondaire, passait par là dans votre inconscient), un besoin de changements radical dans sa vie sexuelle ou simplement un besoin de "lâcher prise", pas forcément en matière de sexe… D’ailleurs, "souvent, quand il est question de sexualité dans vos rêves, ils n’en parlent en réalité pas. Et quand il n’en est apparemment pas du tout question, ils peuvent en parler", ajoute dans Psychologie magazine le psychanalyste Tristan-Frédéric Moir.
Et de citer un exemple : "Un scénario revient chez beaucoup de mes patients : ils se voient avec une personne avec qui il règne une entente extraordinaire, une grande sensualité, un climat amoureux. Il n’y a pas de pénétration, mais l’ambiance est très érotique. Eh bien, ce type de rêves a rarement une signification sexuelle. Leur sens est d’abord personnel : ils mettent en scène l’harmonie entre les parts féminines et masculines de chacun, ou l’amour pour soi-même. Il y est davantage question d’apprendre à aimer ces parties de soi que parfois nous rejetons ou qui nous dérangent".
Comment, donc, éviter la sur-interprétation ?
Tout bon thérapeute vous dira donc que la bonne interprétation dépend de votre histoire personnelle, votre culture, votre éducation, votre patrimoine génétique, vos croyances religieuses etc. En outre, le contexte du rêve a toute son importance : tomber d’un immeuble (certains psychanalystes renvoient cela à l’absence du père) n’aura pas le même sens que de tomber d’une falaise. Pour éviter les erreurs, les spécialistes recommandent donc une analyse fine, en comparant les rêves entre eux, sur du long terme, ainsi qu’avec les éléments du quotidien le plus actuel et de son histoire la plus ancienne, voire même avec des éléments de l’environnement social dans lequel on vit. Pour cela, il est possible d’appliquer quelques conseils simples :
- Endormez-vous près d’un mégaphone ou d’une feuille et d’un crayon et notez, dès votre réveil (même en pleine nuit), toutes les images des rêves qui vous passent par la tête, comme elles viennent. N’interrompez pas votre sommeil pour cela, il est important que le réveil soit naturel.
- Un peu plus tard dans la journée, tentez de constituer un récit cohérent avec ces premières notes. Décrivez les évènements de votre rêve mais aussi vos émotions. Mettez une date, voire un titre.
- Réitérez l’exercice plusieurs nuits et demandez-vous s’il existe des images communes à tous vos rêves, ou des ressemblances, des analogies.
- Raconter ses rêves à d’autres permet parfois de mettre en lumière un aspect du songe. Aussi, écouter les rêves des autres permet de comprendre en quoi les siens sont singuliers. Suivez sur le long terme la récurrence et le développement de ces images les plus singulières.
- Reprenez régulièrement vos notes, interrogez-les, méditez-les, et essayez de voir s’ils correspondent à des éléments de votre vie : un problème devant lequel vous fuyez, un désir que vous refusez d’avouer, un secret de famille qui ressort, un échec que vous n’arrivez pas à accepter etc.