Peut-être prévoyez-vous déjà les livres que vous emporterez en vacances cet été. Chaque semaine, Europe1.fr s’intéresse à un "classique" parmi les ouvrages étiquetés "développement personnel". Cette semaine, nous avons lu le dernier ouvrage du philosophe Fabrice Midal, Sauvez votre peau, devenez narcissique, déjà vendu à 23.000 exemplaires depuis sa sortie mi-janvier.
CE QUE L’ON TROUVE DANS L’OUVRAGE
Une réhabilitation de Narcisse. Fabrice Midal ambitionne de nous réconcilier avec le mythe antique de Narcisse, raconté notamment par Ovide au 1er siècle de notre ère. "Une injure, narcissique ? Un quelque chose en moi, je ne sais trop quoi, me dictait l'urgence de me réconcilier avec ce gros mot", écrit l’auteur. Pour rappel, chez Ovide, Narcisse est un jeune chasseur grec vivant dans la ville antique de Thespies. À sa naissance, le devin Tirésias proclame : "Cette enfant vivra vieux s'il ne se connaît pas". Narcisse passe alors sa jeunesse à ne jamais se regarder dans un miroir, à ne jamais s’observer d’aucune manière que ce soit. Il ne se rend donc pas compte de sa beauté, n’a pas confiance en lui et ne comprend pas l’amour que lui portent ses nombreux(es) prétendant(e)s, qu’il repousse sans cesse.
Un beau jour, toutefois, il se voit dans l’eau. Il se trouve beau, mais sans savoir qu’il s’agit de lui. Il tombe, même, amoureux de ce reflet, qu'il perçoit comme un étranger. Puis lorsqu'il se reconnaît, il "se transforme en une extraordinaire fleure blanche au cœur d'or, la fleur de la joie pure, la première à éclore après l'hiver, qui porte désormais son nom : le narcisse", résume Fabrice Midal.
" J'avais conservé le modèle que nous impose la doxa. Celui d'un jeune homme orgueilleux et vaniteux "
Pour le philosophe, l’occident, sous l’influence de la théologie chrétienne, a fait de ce mythe une condamnation de l’amour de soi. Pour s’être trop aimé, Narcisse aurait été puni par les dieux. "Il en a découlé une morale limpide : il est dangereux de s'aimer", avance Fabrice Midal. "Le mythe de Narcisse ? J'avais conservé le modèle que nous impose la doxa. Celui d'un jeune homme orgueilleux et vaniteux […] coupable de ne pas être humble, de se trouver aimable et de s'aimer", poursuit-il.
Or, selon Fabrice Midal, une telle conclusion est aux antipodes du message originel du mythe. Pour Ovide, et pour les Grecs avant lui qui l’ont évoqué, la transformation de Narcisse n’est pas une punition. Il s’agit, plutôt, "d’une joyeuse ode à la renaissance du printemps et à l'épanouissement de la nature, la vie", avance le philosophe français. Fabrice Midal en déduit alors une morale basée sur l’acceptation de soi et la nécessité de se connaître soi-même, préalable indispensable pour ne pas repousser les autres et accueillir leur amour.
Un appel au "connaît-toi toi-même". Il en appelle, tout au long de l’ouvrage, à "découvrir l’humanité en-nous", à nous "livrer au ‘connais-toi toi-même’ socratique", à nous accepter tels que nous sommes, à sortir de l’idée que l’homme est intrinsèquement mauvais. Ce qui est dangereux n’est pas de s’aimer, c’est "l’identité ‘figé’", assure le philosophe : celle de Narcisse avant qu’il se reconnaisse, lorsqu’il se pensait insignifiant et manquait de confiance. Pour en sortir, il convient de s’observer, longtemps (le narcissisme ne s’acquiert pas en un jour), de mettre l’accent sur ce que l’on fait de bien, de le reconnaître, de ne jamais l’éluder. Fabrice Midal exhorte à éviter les remontrances envers soi-même (les "Peut mieux faire, les "je suis nul") et surtout à reconnaître les rôles derrière lesquels on se dissimule (patron/salarié, marié/célibataire, jeune/vieux, actif/paresseux), à sortir de ces "modèles virtuels", des "idéaux artificiels qui n’existent pas dans la réalité".
Le but est de réapprendre à dire "je", à se pardonner, à ne pas effacer ses erreurs mais à s’en rendre compte sans culpabilité, pour mieux les "surmonter et tourner la page". L’auteur va même jusqu’à condamner la notion de "sacrifice de soi" et "d’altruisme" (au sens d’oubli de soi pour se consacrer aux autres), qu’il traite de "mensonges". Il s’agit pour lui d’être "gratuitement heureux, sans honte".
CE QUE NOUS EN AVONS PENSE
Une pédagogie humble et des références inspirantes… Dès le premier chapitre, l’auteur nous (ré)introduit, par une synthèse précise, juste et efficace, au mythe originel de Narcisse. Certes, il s’appuie principalement sur la version d’Ovide, mais il assume ce parti pris. Son but, dit-il, et de proposer "un modèle", un personnage duquel s’inspirer pour sortir de maux encore bien en vigueur aujourd’hui : la non écoute de soi, le manque de confiance, la culpabilité etc. Humble, le philosophe français n’entend pas proposer "une solution exclusive" ou une "méthode prête à l’emploi". Il mêle, d’ailleurs, ces commentaires du mythe à des événements de sa propre vie dans un double objectif : incarner son propos, permettre au lecteur de trouver des similitudes dans sa propre vie, et en même temps en proposer des limites (ça lui a fait du bien à lui, ça ne fonctionnera peut-être pas sur tout le monde).
Mais le gros avantage de l’ouvrage reste la richesse de ses références. De Sophocle à Paul Valéry en passant par le poète autrichien Rilke, la trop peu connue philosophe Simone Weil (à ne pas confondre avec sa presque homonyme Simone Veil) ou les Evangiles, l’auteur puise dans un large panel de références pour commenter le mythe de Narcisse. Comme à son habitude, Fabrice Midal nous les résume avec pédagogie et nous fournit une première approche inspirante de textes et de notions parfois difficiles d’accès.
… Accompagnés de lourdeurs et de raccourcis dommageables. Mais ce qui fait la qualité de cet ouvrage en constitue également les défauts. Le récit des évènements de la propre vie de l’auteur alourdit la lecture ; au point que l’on est par moments tenté de sauter des pages pour en revenir à ses commentaires du mythe de Narcisse. L’auteur tombe parfois aussi dans des banalités, appelant à "travailler dans le bonheur et l’enthousiasme plutôt que dans la tension et l’angoisse" sans vraiment nous dire comment, ou à "être pleinement soi" sans que l’on sache vraiment ce que cela signifie.
Fabrice Midal n’évite pas non plus certains raccourcis, à trop vouloir condamner la version "occidental" du mythe de Narcisse. En faisant porter à Saint Augustin la responsabilité de la condamnation de l’amour de soi, il élude les propos de l’évêque de Nipponne concernant la "part divine" que chaque être humain possède au fond de son cœur, et qu’il doit apprendre à retrouver. À l’inverse, en faisant des Evangiles une ode à l’amour de soi qui aurait été dévoyé par des siècles d’exégèse théologique, il en oublie un peu les messages d’humilité et de sacrifice de soi que l’on y trouve également.
En conclusion, l’ouvrage de Fabrice Midal réussit son objectif : réhabiliter le mythe de Narcisse et le rendre inspirant. Mais nous ne pouvons que vous suggérez de vous plonger, vous-même, dans les ouvrages auxquels l’auteur fait référence pour aller encore plus loin.
> À lire
Les Métamorphoses, d'Ovide
Alcibiade, de Platon
Lettre à un jeune poète, le Testament et toutes les œuvres de Rainer Maria Rilke
Les Œuvres en Pléiade de Paul Valéry
Intuitions pré-chrétiennes, de Simone Weil
L'Amour du narcissisme, de Lou Andréa Salomé