L'annonce. Comment créer 100.000 dans des entreprises à utilité sociale et à gouvernance démocratique ? C'est le très ambitieux projet auquel se sont attelés les services du discret ministère de l'Economie sociale et solidaire, dirigé par Benoît Hamon. Le ministre va présenter son projet de loi mercredi, pour un examen au Parlement en octobre.
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C'est quoi, l'économie sociale et solidaire ? L'économie sociale et solidaire (ESS) représente aujourd'hui 10% du Produit intérieur brut (PIB) de la France et 10% des emplois, soit 2,35 millions de salariés. L'ESS regroupe environ 200.000 entreprises, qui concilient activité économique et utilité sociale, une gestion désintéressée (dont le but principal n'est pas de faire du profit) et une gouvernance démocratique (où les salariés ont le pouvoir). Mais l'ESS n'a jamais fait l'objet d'une définition précise fixée par la loi. Organisée dès le XIXème siècle autour du mouvement coopératif et des sociétés de secours mutuels, créés pour apporter une réponse collective à des besoins sociaux, l'économie sociale s'est ensuite étendue au XXème siècle avec le développement d'acteurs comme les associations, tournés vers les publics vulnérables et les territoires délaissés. De la mutuelle santé à la coopérative agricole, en passant par la Scop industrielle ou l'associati1on de consommateur, l'ESS couvre tous les domaines de l'économie.
Objectif numéro un : définir pour financer. Le projet des équipes de Benoît Hamon vise tout d'abord à établir un périmètre précis des entreprises ESS. Une reconnaissance censée donner accès aux entreprises du secteur à des financements dont elles manquent parfois cruellement. Alors que "jusqu'ici, les porteurs de projets d'innovation sociale n'étaient pas suffisamment accompagnés", selon le cabinet de Benoît Hamon, ils pourront désormais frapper à la porte de la Banque publique d'investissement (BPI), qui a déjà pour mission de diriger vers l'ESS quelque 500 millions d'euros de crédits. Des instruments financiers spécifiques seront également réformés, pour améliorer par exemple le financement des associations, ou développer les fonds propres des mutuelles. Les "agréments solidaires", qui permettent aux entreprises du secteur d'accéder aux fonds d'épargne salariale solidaire, seront également "rénovés" et davantage ciblés vers des structures ayant "une forte utilité sociale et une faible rentabilité".
Objectif numéro deux : étendre le concept. Le projet de loi contient encore des dizaines de mesures visant à doper le secteur. L'une d'elles vise par exemple le développement des coopératives d'activité et d'emploi (CAE). Ce concept original offre à des créateurs de projet - en général des demandeurs d'emploi - un lieu d'accueil, un salaire et une couverture sociale, en leur permettant d'être à la fois entrepreneurs et salariés de la coopérative. Autre volonté: soutenir les "pôles territoriaux de coopération économique", dans lesquels coopèrent entreprises de l'ESS, sociétés commerciales, collectivités territoriales ou encore centres de recherche, dans le but de "créer des emplois non délocalisables".
Objectif numéro trois : faciliter la création. Pour développer le modèle coopératif - et notamment les Scop (sociétés coopératives et participatives, associant les salariés aux prises de décision), qui emploient aujourd'hui 40.000 personnes - le texte prévoit la création d'un statut transitoire de "Scop d'amorçage". L'idée : permettre aux salariés, lorsqu'un patron veut céder son entreprise, d'être minoritaires au capital le temps de réunir les fonds pour devenir majoritaires et reprendre l'affaire. Pendant ce laps de temps (7 ans), la société bénéficiera d'un système fiscal avantageux. Et pour faciliter les reprises de petites entreprises par leurs salariés, une autre mesure projette que ceux-ci soient informés au moins deux mois à l'avance d'un projet de cession d'une entreprise de moins de 50 salariés, pour leur permettre, le cas échéant, de formuler une offre.
Les patrons pas contents. Cette dernière mesure (prévenir les salariés à l'avance d'un projet de cession) a provoqué une levée de bouclier des chefs d'entreprises, qui redoutent une paralysie, voire un échec des processus de cession. "Je trouve cette idée très dangereuse car, en cas de cession, la discrétion est un élément crucial", s'inquiète ainsi Jean-Eudes du Mesnil, secrétaire général de la CGPME, interrogé par L'Entreprise.com. "Une fuite peut faire d'immenses dégâts auprès des fournisseurs, des clients et des créanciers", prévient-il. "J'ai failli me pendre quand j'ai vu ça", a renchéri Thierry Viquerat, président du Fonds d'intervention pour les PME, contacté par le site spécialisé. Et de conclure : "je n'ai aucun doute sur les intentions du cabinet de Benoît Hamon, leur sincérité est totale. Mais je déplore la méconnaissance totale des mécanismes de cession d'une entreprise. C'est un peu comme si on faisait rédiger le code de la route par des gens qui n'ont pas le permis."
Des attaques que Benoît Hamon, cité par l'AFP, balaie d'un argument : "ce droit à l'information peut permettre de sauver des dizaines de milliers d'emplois par an. Il va donner au chef d'entreprise une opportunité supplémentaire de trouver un repreneur, sans remettre en cause son droit de choisir son successeur au prix qu'il a fixé".