Le monde du travail avait les yeux tournés vers la Moselle où semble se rejouer la bataille des 35 heures. Ce vendredi, la direction de l’usine Smart à Hambach a organisé une consultation sur un projet baptisé "Pacte 2020". Ses salariés devaient donner leur avis sur un passage temporaire aux 39 heures en échange d'un maintien de l'emploi jusqu'en 2020. La majorité d'entre eux ont répondu "oui" mais cela ne signifie pas qu'ils vont retourner aux 39 heures : rien n’indique dans la loi que Smart puisse arriver à ses fins. A moins que l’objectif de l’entreprise soit ailleurs.
Ce qui est proposé aux salariés. La question qui leur était posée est la suivante : acceptez-vous de passer de 35 à 39 heures par semaine en échange d’un maintien de l’emploi garanti jusqu’en 2020 ? Un allongement de la durée du travail qui ne serait cependant que temporaire : passer à 37 heures dès le mois d’octobre, puis à 39 heures de 2016 à 2018, avant de revenir 37 heures en 2019 et enfin aux 35 heures en 2020.
En échange, la direction promet de ne supprimer aucun poste sur cette période et une augmentation de 120 euros brut par mois. Mais aucune augmentation salariale n’aurait lieu d’ici 2020. "Il s'agit de travailler 12% en plus, tout en gagnant 6% de plus", a résumé le DRH du site, Philippe Steyer.
Au final, 56,1% des salariés de l'usine ont voté en faveur d'un retour provisoire aux 39 heures. Mais si le oui est majoritaire (74%) chez les 385 cadres, employés, techniciens et agents de maîtrise consultés, il n'a rassemblé que 39% des suffrages chez les 367 ouvriers votants.
Un vote pour… rien. Depuis une semaine, politiques et médias ont donc rouvert le dossier des 35 heures, sauf que tout cela est prématuré. D’abord car c’est la signature des délégués syndicaux qui compte, et non le résultat d’une consultation comme celle menée vendredi. Même si les salariés - voire les syndicats - sont d’accord pour un passage temporaire aux 39 heures, une telle évolution est aujourd’hui tout simplement impossible.
En effet, outre les heures supplémentaires, plusieurs dispositifs permettent de déroger aux 35 heures et Smart n’entre dans aucun d’eux. Il y a d’abord la modulation du temps de travail pour l’adapter à l’activité de l’entreprise : une entreprise de glace peut par exemple demander à ses employer de travailler 40 heures par semaines pendant l’été et beaucoup moins l’hiver. Mais à la fin de l’année, le nombre total d’heures ne doit pas dépasser 1.607 heures. Soit 35 heures par semaine. Autre possibilité : passer aux forfaits heures ou jours, mais cette possibilité est réservée au cadre ou aux salariés qui ont une liberté dans l’organisation de leur travail, ce qui n’est pas vraiment le cas dans une usine automobile.
Il reste alors une ultime possibilité : recourir aux "accords de maintien de l’emploi", autrefois baptisés "accord compétitivité emploi" sous le mandat de Nicolas Sarkozy. Ces derniers permettent à une entreprise de temporairement réduire les salaires et augmenter le temps de travail, mais à des conditions. "Au regard du droit du travail, on ne peut pas signer un accord moins favorable aux salariés que si l'on est dans le contexte de difficultés économiques réelles. C’était le cas de PSA, ce n’est pas leur cas. Aujourd’hui, le droit du travail n'autorise pas à déroger de façon défavorable sur la question cruciale de la durée légale du travail en ne la considérant plus comme un seuil", décrypte Stéphanie Lecocq, directrice d’études à l’Institut Supérieur du Travail (IST). Depuis 2010, le résultat net du groupe Daimler AG, maison-mère de Smart (mais aussi de Mercedes), ne cesse en effet de progresser. Et l’année 2015 devrait elle aussi être un bon cru : "le groupe Daimler a annoncé une hausse de ses bénéfices de 18 % ce qui représente 21 milliards d’euros au second trimestre 2015", assurait en juillet dernier un délégué syndical du bassin mosellan dans les colonnes du Républicain Lorrain.
Une consultation pour envoyer un signal ? Autant dire que Smart ne remplit pas les conditions pour lancer un accord de maintien de l’emploi, même si sa consultation y ressemble à s’y méprendre : même durée (5 ans) et même principe (travailler plus pour garantir l’emploi). Et quand bien même Smart pourrait recourir à un tel dispositif, ce vote n’est pas la meilleure manière de procéder. "Ce type de référendum est une technique déconseillée car dans tous les cas il y a un perdant : la direction ou les syndicats. Ce n’est donc pas astucieux car cela empêche les partenaires sociaux de négocier calmement", prévient Bernard Vivier, président de l’IST.
Un référendum qui ne peut déboucher sur aucune modification du temps de travail et qui ne facilite pas le dialogue : mais à quoi joue donc Smart ? "A mon avis, c’est un effet d’annonce. Ils testent le terrain et le climat social de l'entreprise", estime Stéphanie Lecocq, avant de faire le parallèle avec le débat actuel sur le droit du travail. "Cela intervient alors que le rapport Combrexelle préconise l’inversion de la pyramide des normes. Le principe : si on ne touche pas au code du travail sur trois principes fondamentaux, on pourra davantage l’aménager, notamment avec un accord de branche ou d'entreprise. Cette consultation et l'entreprise Smart va plutôt dans ce sens. Ce n’est pas encore possible, mais dans un an ou deux ?"
Même si la direction de l’entreprise assure que ce n’est qu’une coïncidence, le timing n’est pas anodin. D’autant qu’une autre fenêtre de tir approche : en mars 2016 , l’accord de compétitivité conclu chez Renault va arriver à son terme. L’heure du bilan sonnera et l’industrie automobile risque de le citer en exemple. Sauf que chez Renault, la négociation était restée dans les clous de la légalité : les salariés travaillaient en moyenne 32 heures par semaine et ont accepté d’aller jusqu’à 35 heures.