C’est ce qu’on appelle l’"effet domino". La dégradation de la notation de la France par l’agence Standard&Poor’s promet d’avoir des répercussions non négligeables sur le fonctionnement des collectivités locales. Communes, communautés de communes, départements et régions doivent donc désormais intégrer cette nouvelle donne dans leur fonctionnement. Et prendre les mesures adéquates. Europe1.fr fait le point.
LES CONSEQUENCES
Sur la notation. Puisque les collectivités locales dépendent, pour près de la moitié de leur budget, de l’argent versé par l’Etat, à travers l'allocation globale de fonctionnement, elles ne peuvent pas bénéficier d’une meilleure note que lui. Les territoires notés AAA, comme la ville de Paris ou la région Ile-de-France, seront donc mécaniquement dégradées. Pour les autres, une baisse de la note n’est pas non plus à exclure, les agences gardant l’Hexagone sous surveillance.
Sur l’attribution de prêts. La situation n’était déjà pas simple après le démantèlement en octobre 2011 de Dexia, la banque franco-belge chargée de prêter de l’argent aux collectivités. Cela devrait se compliquer encore plus. Pas forcément parce que les taux vont augmenter, d’ailleurs. "En réalité, ce n’est pas le sujet majeur", assure Philippe Laurent, maire de Sceaux et président de la commission des finances de l’Association des maires de France (AMF), interrogé lundi sur Europe 1. "Les taux ont déjà largement augmenté ces dernières années, et il n’y a pas trop d’impact à attendre."
Le vrai sujet, en fait, c’est "le manque d’appétence des prêteurs pour prêter aux collectivités territoriales", précise l’élu. "Or, les collectivités empruntent entre 16 et 18 milliards d’euros par an". Et pour les collectivités comme pour les entreprises et les particuliers, les banques seront plus frileuses en 2012. "Nous anticipons un manque de financement de l’ordre de 8 à 10 milliards", assure Philippe Laurent.
Des projets menacés... Et la question va très vite devenir pressante. "Pour 2012, toutes les opérations sont lancées, sont en cours, comme la réalisation de lignes de transport en commun", reprend Philippe Laurent. "Il y a donc absolument besoin de trouver des liquidités par emprunt, comme cela est prévu dans les plans de financement. Il ne s’agit donc pas d’emprunter plus d’argent, mais de réaliser ce qui était prévu au départ."
Dans les années à venir, les collectivités locales vont donc être contraintes de réduire sensiblement la voilure, faute d’argent. "Ça va être de plus en plus difficile de réaliser des projets d’équipements sur notre territoire", soupire Jean-Noël Badenas, maire PS de Puisserguier et conseiller général du canton de Capestang, dans l’Hérault. "Je ne dis pas qu’on va renoncer aux projets, mais il faudra être beaucoup plus patient pour voir des équipements structurants réalisés. On va vers un échelonnement des investissements sur le plus long terme."
Exemple en Côte d’Armor. "Il y a un projet de rocade d’agglomération autour de Saint-Brieuc. Nous allons la faire en huit ans au lieu de sept", témoigne pour Europe1.fr Claudy Lebreton, président du conseil général du département breton, mais aussi président de l’Assemblée des départements de France (ADF). L’élu cite aussi l’exemple d’un confrère, maire d’une petite commune des Côtes d’Armor. L’homme est contraint lui aussi de reporter d’un an au moins la rénovation de l’école de son village de 1.700 habitants. "Cet élu a moins de subventions de l’Etat, donc plus recours à l’emprunt. Et vu la frilosité des banques, il ne dispose que de la moitié des deux millions d’euros dont il a besoin", explique Claudy Lebreton.
…ou une hausse des impôts locaux. En 2012, année électorale, la majorité des contribuables français ne devraient pas être localement plus ponctionnés. "Un tiers des départements ne va pas augmenter du tout, un gros tiers s’indexera sur l’inflation, soit 2% de hausse, et une bonne vingtaine est tentée par une hausse de 5 à 10%", détaille Claudy Lebreton. 2012 sera plutôt clémente, donc. Mais la facture pourrait s’alourdir dans les années à venir. "2013, ça va être plus compliqué", admet le président du conseil général des Côtes d’Armor.
LES SOLUTIONS
La Caisse des dépôts sollicitée. En 2011 déjà, la Caisse des dépôts avait débloqué une ligne de crédit de 5 milliards d’euros pour compléter le financement des collectivités locales. L’instance devrait à nouveau être sollicitée. "D’abord pour supplanter le retrait des banques", affirme Philippe Laurent. "Nous réclamons une intervention plus massive de la caisse des dépôts et consignations. On ne voit pas qui d’autre pourrait intervenir", assène le trésorier de l’AMF.
Une agence d’investissements locaux. Les élus locaux réclament la mise en place d’un nouvel organisme depuis de longs mois. "Cette agence de financement des investissements locaux irait emprunter directement sur les marchés obligataires pour reprêter aux collectivités territoriales", explique Philippe Laurent. "Ce mécanisme existe à peu près dans tous les pays d’Europe du Nord, et existait en France avant Dexia. Avec lui, on ne serait plus dépendants de la volonté des banques de financer les investissements publics locaux."
Problème : le gouvernement y est opposé, du moins sur la forme réclamée par les élus locaux. "Les collectivités au départ pensaient qu'elles feraient une agence indépendante. Ce n'est pas du tout ce que nous disent les marchés et les juristes : ils considèrent que, par définition, une agence de financement des collectivités publiques est garantie par l'Etat", a expliqué Valérie Pécresse. "Nous ne sommes pas défavorables à la création de cette agence par principe, simplement nous considérons que si l'Etat est appelé en garantie, il est légitime d'en demander le contrôle des risques", a précisé la ministre du Budget. En tout état de cause, la question ne sera pas tranchée avant les élections.
La rigueur. Valérie Pécresse, toujours elle, a eu la main leste au moment d’évoquer les finances des territoires. "Il faut que les collectivités locales, qui s’administrent librement, s’appliquent à elles-mêmes des règles de gestion très rigoureuses de gestion. Certaines le font mais c’est très inégal sur le territoire. Il faut qu’elles gèrent l’argent au mieux", a asséné la ministre du Budget et porte-parole du gouvernement, lundi matin sur Europe 1. Dans le même esprit, Nicolas Sarkozy a annoncé le 11 janvier dernier qu’il réunirait les associations d'élus locaux pour leur parler déficits. "L'ensemble des collectivités publiques doivent participer à cet effort national", a lancé le chef de l’Etat.
La gauche, qui contrôle 23 des 26 régions françaises et 63 des 101 départements, s’est sentie visée. Car comme souvent, le problème est aussi politique. Mais quel que soit le vainqueur au soir du 6 mai 2012, il faudra qu’il se penche sur la question du financement des investissements des collectivités territoriales. "Il y a toujours des effets retard dans les crises de ce type, donc pour 2012, ce ne sera pas trop douloureux", explique Claudy Lebreton. "Mais 2013 sera assurément l’année de tous les dangers."